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TRIBUNE

La mixité, maintenant

Il faut remettre de la mixité là où elle n’aurait jamais dû disparaître. Lorsque des parents investis se parlent et surmontent leurs craintes, des cercles vertueux se mettent en place très rapidement. Nous pouvons en témoigner, nous y participons activement.
par Un collectif de juges d'instance
publié le 3 janvier 2017 à 17h06
(mis à jour le 3 janvier 2017 à 18h24)

Ça pourrait être le début d’une belle histoire. Une histoire d’aujourd’hui. Une histoire qui nous ressemble. Où nos espoirs se cognent à nos peurs. Peur de l’avenir, celui de nos enfants. Peur du déclassement. Peur de l’inconnu, mais aussi parfois simplement peur de l’autre, ce voisin qui ne nous ressemble pas. Toutes ces peurs se cristallisent autour de l’école. Car il s’agit de cela, l’école de nos enfants.

Tout commence par un constat simple. Dans le XVIIIe arrondissement de Paris comme dans beaucoup d'autres villes de France, nos écoles ne reflètent pas la réalité de la composition sociale de nos quartiers. L'évitement scolaire, malheureusement devenu sport national, et la fuite vers l'enseignement privé ont conduit à des situations que nous ne pouvons plus accepter : des établissements se retrouvent fortement ségrégués dans des territoires pourtant mixtes. De cela, il y a tout lieu de se préoccuper sans plus attendre.

Ce véritable apartheid social, qui commence dès l'école, a aujourd'hui un coût éducatif - l'enquête Pisa l'a encore confirmé (1) - et sociétal qu'il est urgent de regarder en face . Les autorités ont enfin pris la mesure du danger encouru par tous de voir perdurer une telle situation. Il était temps.

Cette initiative tant attendue consiste à retoucher la carte scolaire pour regrouper les élèves de deux secteurs auparavant distincts. Et ainsi remettre de la mixité là où elle n’aurait jamais dû disparaître. Parce qu’elle est simplement le reflet de notre vie de tous les jours. C’est un premier pas. Nous y voyons une condition, peut-être pas suffisante mais néanmoins certainement nécessaire, pour que les collégiens bénéficient d’un environnement propice à l’apprentissage, à l’ouverture d’esprit du citoyen en devenir, à l’égalité des chances, bref à la réussite scolaire. Ceux d’entre nous dont les enfants sont scolarisés dans des établissements «évités» en font l’expérience au quotidien. Lorsque des parents investis se parlent et surmontent leurs craintes, des cercles vertueux se mettent en place très rapidement. Nous pouvons en témoigner, nous y participons activement.

D’après les données fournies par le rectorat, il y a 10 % de collégiens défavorisés dans le secteur de recrutement du collège Antoine-Coysevox et 32 % dans celui de Hector-Berlioz. Pourtant, du fait de l’évitement scolaire, ce dernier en accueille 47 %. Si les parents jouent le jeu de l’école publique, et ne cèdent pas à la tentation de scolariser leurs enfants dans le privé, le double secteur permettra d’accueillir l’an prochain en sixième à peu près 20 % d’élèves défavorisés. Ces 20 % sont l’exact reflet du quartier et semblent bien peu quand on sait qu’à l’échelle nationale les établissements publics accueillent 38 % d’élèves défavorisés. Il ne s’agira donc pas du tout, ici, d’inscrire héroïquement ses enfants dans des établissements «ghettos», mais dans deux collèges plutôt favorisés au plan national, où les enfants se mélangeront. Des collèges comme il y en a beaucoup en France, mais malheureusement très peu à Paris.

Dès l’annonce de ce projet, trop de réactions hostiles, excessivement hostiles, ont été entendues. Trop de paroles violentes, définitives, sont arrivées aux oreilles des écoliers et des collégiens. Il est temps que la raison retrouve droit de cité et que le sens de l’intérêt général reprenne l’avantage. Les enfants nous regardent.

Nous entendons les réticences. Nous comprenons les questions de ceux qui s’opposent aujourd’hui au projet ou simplement s’interrogent. De tous côtés, la mixité sociale semble être une ambition partagée par le plus grand nombre. Il faut s’en réjouir. Les oppositions se situeraient sur le tempo ainsi que sur la méthode. S’en servir de prétextes reviendrait à céder aux conservatismes et aux peurs. Nous ne nous y résignons pas.

Oui, des moyens doivent être mis en œuvre pour assurer la réussite de ce projet. Unissons-nous pour exiger des autres établissements proches, privés comme publics, qu’ils participent à l’effort commun et offrent la garantie qu’ils ne profiteront pas des doutes de certains pour attirer des élèves favorisés. Exigeons du rectorat une attention plus particulière sur les demandes de dérogation et sur les adresses fournies par les familles. Si nous nous entendons sur cela, ce projet ne pourra que réussir et servir d’exemple ailleurs.

Nous invitons donc tous les parents relevant des secteurs des collèges Coysevox et Berlioz à unir leurs efforts et à déployer leur énergie vers cet objectif partagé. Sans angélisme et sans peur, saisissons-nous de cette opportunité dès la rentrée 2017 pour remettre un peu de l’idéal républicain dans nos écoles et nos collèges, dans nos villes et dans nos quartiers.

Des parents des collèges Antoine-Coysevox et Hector-Berlioz, des parents des écoles Paul-Abadie, Belliard, Damrémont, Françoise-Dorléac et Vauvenargues, le collectif Apprendre ensemble (Paris XVIIIe).

(1) Publiée le mois dernier, cette enquête de l'OCDE portant sur 72 pays confirme que le système éducatif français est l'un desplus inégalitaires.  Lire Libération du 7 décembre.

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