De Roland-Garros à la poésie : Denis Grozdanovitch, esthète du tennis

Ancien tennisman, l’écrivain nous raconte les aléas de sa carrière et sa vision dilettante de la vie. Lassé du tennis joué aujourd’hui à Roland-Garros, il préfère le refuge de son jardin et de ses livres.

Par Propos recueillis par Jean-Baptiste Duchêne

Publié le 28 mai 2018 à 16h00

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 01h22

Limminence de Roland Garros laisse l’écrivain Denis Grozdanovitch indifférent. Le champion de France junior de tennis, année 1963, plus préoccupé par l’écriture de son treizième livre et ses travaux de jardinage, s’est pris de désamour pour les Internationaux de France de tennis. L’homme de lettres nous a ouvert les portes de sa maison bourguignonne, entre Vézelay et les collines du Morvan, une vieille demeure qui disparaît dans la profusion des verts intenses de ce jour de printemps.

Attendez-vous avec impatience l’ouverture du tournoi de Roland Garros ?

Franchement non. La plupart des joueurs actuels ont un style caricatural qui fait la part trop belle au « boum boum », un jeu de « cogneur » dénué de finesse, même s’il existe des exceptions : Roger Federer bien sûr, mais il ne dispute pas le tournoi, et le Belge David Goffin.

Que pensez-vous du grand favori Rafael Nadal ?

Je le trouve très fair-play, et contrairement à ce qu’on avance communément, c’est sans doute l’un des joueurs les plus intelligents du circuit comme en témoigne la manière avec laquelle il est parvenu à changer son jeu avec les années.   

“Fous-moi en l’air tous ces bouquins à la con et travaille tes réflexes”

Regarderez-vous des matchs à la télévision ?

Je ne suis pas certain, j’ai du jardinage en retard, des buis à protéger contre l’invasion d’un papillon d’Asie, et puis je dois terminer mon prochain livre (1). De toute façon je touve les commentateurs soporifiques et complètement ignorants des stratégies de jeu, un seul avait le niveau, c’était Patrice Dominguez.

Ferez-vous le déplacement à la Porte d’Auteuil ?

Ah ça non, je ne supporte plus cette ambiance de foire commerciale, la foule oppressante et ses olas ineptes.   

Il y a quelques années, vous vous étiez opposé au projet d’agrandissement du Stade Roland-Garros qui doit s’achever dans deux ans…

Oui, c’est une véritable bêtise cet agrandissement, il va même déboucher sur la destruction du court n°1 ! Le public et les joueurs adorent cette arène, ni trop petite pour les têtes d’affiche, ni trop grande pour le confort des spectateurs. Et tout ça pour libérer de la place et aménager une fan zone avec un écran géant pour suivre les matchs. Je m’étais prononcé pour le projet alternatif qui prévoyait la couverture du périphérique qui avait l’immense avantage de ne pas toucher aux jardins d’Auteuil et ses magnifiques serres qui jouxtent le stade.

Vous avez une tendresse particulière pour ce parc parisien et ses serres anciennes.

C’est là que je me planquais pour lire quand j’étais à l’entraînement à Roland Garros avec l’équipe de France. L’encadrement et mes partenaires n’aimaient pas me voir bouquiner. Une fois à l’Institut national du sport, dans le bois de Vincennes, des camarades de chambrée ont trouvé mes livres, et en guise de représailles, ont voulu me raser sous la ceinture. Je n’ai dû mon salut qu’à l’intervention des boxeurs qui logeaient à côté. Un mi-lourd m’a donné ce conseil : « Fous-moi en l’air tous ces bouquins à la con et travaille tes réflexes sans penser à rien d’autre ! » (2)

Avez-vous suivi son conseil ?

Pas vraiment, j’étais trop excentrique pour ce milieu. En 1964 dans une compétition de jeunes à Wimbledon, j’avais profité du séjour à Londres pour visiter le British Museum dont je me rappelle avoir adoré les momies. La même année j’avais fait pareil à Rome en me promenant dans le quartier des forums. A chaque fois je me suis pris un savon, c’est une attitude incompatible avec le haut niveau. Je me souviens d’un entraînement au stade Coubertin où le coach nous a fait nous mettre en ligne pour lire la devise du baron écrite sur un bas relief « L’important n’est pas de gagner mais de participer. » « Hé bien, a-t-il dit, dorénavant, oubliez ce truc, vous êtes des “killers” ! »

D’après la couverture du livre De l'art de prendre la balle au bond.

D’après la couverture du livre De l'art de prendre la balle au bond. Illustration : Coloranz pour Télérama

Comment avez-vous renoncé au haut niveau ?

J’étais un contemplatif. Au cours de matchs accrochés, je me surprenais à me satisfaire de cet état d’équilibre non départagé. L’issue du match m’était alors indifférente, même si en cas de défaite la déception était très vive après. L’irruption de ce sentiment en cours de rencontre rendait impossible la poursuite de la compétition.

Qu’est-il advenu ensuite ?

J’ai repassé mon baccalauréat, que j’avais raté, et puis j’ai entrepris des études d’archéologie avant d’entrer à l’Idhec (Institut des hautes études cinématographiques), en section réalisation. Je voulais devenir réalisateur à l’instar de mes idoles, Max Ophuls et Jacques Becker. Mais je n’avais pas de relations et il fallait toujours parler d’argent.

“La clientèle très conventionnelle du Tennis Club du 16e n’aimait pas trop mon dilettantisme.”

Avez-vous complètement abandonné la compétition ?

Non, j’ai couru le cachet une dizaine d’années dans les tournois de seconde zone, mais curieusement ces années ne m’ont laissé aucun souvenir. Cette époque me fait penser à un feu qu’on regarde sans y prêter attention. Rétrospectivement, je crois que je m’étais mis à détester le tennis. C’est venu progressivement, le tennis a été avili à coups de fric et de volonté d’efficacité par ceux-là même qui contribuent à détruire tout ce que j’aime : la nature sauvage, les animaux, le luxe du temps libre et des vrais loisirs, bref la vie authentique selon moi. La bourgeoisie d’aujourd'hui, je peux en témoigner, ne sait plus vivre, ses représentants ne savent que se donner l’apparence du bonheur.

Qu’avez-vous fait ensuite ?

Je me suis dit qu’enseigner le tennis une dizaine d’heures par semaine n’était pas trop mal payé et que cela me laissait le temps de m’adonner à mes autres passions : le squash, où j’ai été cinq fois champion de France, et le jeu de paume où je l’ai été dix fois. J’avais tout le temps de lire et d’écrire, même si la clientèle très conventionnelle du Tennis Club du 16e n’aimait pas trop mon dilettantisme.

Comment en êtes-vous venu à l’écriture ?

Cela remonte à l’enfance quand mon père me lisait les grands auteurs, il se disait que même si je ne comprenais rien sur le coup il en resterait sûrement quelque chose. A l’âge de 14 ans je remplissais des cahiers de note, j’en ai deux cents à présent, ils fournissent la matière de mes livres. J’ai tout de suite aimé la discipline que requiert l’écriture sans rature à l’encre de chine.

Comme beaucoup de monde, je manquais de confiance en moi, mais j’ai tout de même osé adresser une lettre à l’écrivain Claude Roy dont j’admirais la poésie. Celui-ci s’est montré formidable, il m’a appelé et m’a dit de foncer tout simplement. Dès lors Petit traité de désinvolture paraîssait en 2002 chez Corti. J’étais très fier, la même maison d’édition que Julien Gracq !

(1) Scènes de la vie excentriques (titre provisoire), à paraître, éd Grasset, 2019.

(2) De l’art de prendre la balle au bond, éd Jean-Claude Lattès, 2007.


on aime un peu Internationaux de France de tennis à Roland-Garros, jusqu’au 10 juin sur France Télévisions.

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