Voitures partagées : quelles solutions pour remplacer Autolib’ ?

Pour la collectivité, la fin d’Autolib’ est l’opportunité de repenser l’autopartage dans un contexte urbain en constante mutation.

Par Anne Berthod

Publié le 02 juillet 2018 à 19h00

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 01h20

Elles ont bien failli être débranchées dès lundi dernier : grâce à un accord trouvé in extremis par le Syndicat Autolib’ Vélib Métropole (SAVM) et le groupe Bolloré, les 4000 voitures électriques de la flotte Autolib ont finalement obtenu un sursis jusqu’au 31 juillet. Leur sort n’en est pas moins scellé : déficitaire, Autolib a mordu la poussière et ne passera pas l’été sur le bitume parisien. Finies, les grappes d’enfants que l’on trimbalait sans stress sur la banquette arrière pour le prix de trois tickets de métro. Terminés, les retours au bercail avec sa place réservée à l’arrivée et les traversées de Paris les soirs de pleine lune sans taxi. Pour les fervents croisés des mobilités alternatives, dont certains ne s’étaient pas encore remis de la disparition des Vélib’ première génération, c’est un deuxième coup dur. Les petites citadines Bluecar à la robe grise tristounette n’étaient certes pas des reines de beauté, mais elles étaient si pratiques ! Depuis 2011, elles avaient ainsi conquis 150 000 abonnés (dont l’assiduité stagnait, toutefois) dans une centaine de communes franciliennes : à défaut d’être rentable, cette offre pionnière à l’échelle d’une capitale était un succès.

Au-delà du fiasco financier (une dette de 233 millions d’euros que devront apurer Bolloré et les contribuables), la question de l’après brûle toutes les lèvres. La Mairie a-t-elle renoncé à proposer aux Parisiens des voitures électriques en libre-service ? Absolument pas. Seulement, maintenant que l’on sait le modèle économique non viable, difficile d’imaginer une offre identique à celle d’Autolib’, morte de son hyper flexibilité et du boom des VTC. Pour l’instant, la seule annonce concrète de la Mairie de Paris concerne les 3244 places de stationnement bientôt libérées : tout propriétaire d’un véhicule électrique pourra alors s’y garer gratuitement pendant six heures. Idem pour les 620 bornes de recharge, qui seront ouvertes aux particuliers à partir de 2019. Mais pour combien de temps ? Car le cercueil d’Autolib’ n’est pas encore en terre que ses remplaçants potentiels se bousculent déjà au portillon.

Anne Hidalgo, qui mise désormais sur la cohabitation de plusieurs acteurs, en a reçu une bonne quinzaine le 11 juin dernier : des start-up (Drivy, le Niçois Vulog), des vieux routards du secteur (Communauto, la plus ancienne entreprise d’autopartage en Amérique du Nord, Citiz…), des jeunes filiales adossées à des loueurs historiques (Zipcar pour Avis Bugdet, Ubeeqo pour Europcar), et même des industriels comme BMW, Daimler, Volkswagen, PSA et Renault.

Première surprise : ceux qui opèrent déjà en Ile-de-France (plus de 600 véhicules actuellement en autopartage), autrement dit presque tous en dehors des constructeurs automobiles, proposent essentiellement des véhicules... avec carburant. Oublié, donc, le bel idéal du 100% électrique, ce que la Mairie confirme à demi-mots, préférant parler dorénavant d’offre « mixte », voire de véhicules « hybrides ». Autre déception : le retour probable à des conditions d’utilisation plus contraignantes. Faute de places de parking attitrées, tous les prestataires existants (Communauto, Ubiqoo, Zipcar…) obligent à restituer la voiture à l’endroit où elle a été empruntée (principe de la location dite « en boucle »), parfois même à une heure fixée à l’avance. Pour la souplesse, on repassera.

En réalité, les projecteurs sont surtout braqués sur les poids lourds de l’industrie, avec leur offre innovante (électrique, cette fois) de free floating rodée dans quelques villes d’Europe. Le principe est le même que pour les trottinettes électriques Lime-S déployées dans Paris la semaine dernière : on géolocalise le véhicule sur l’application de son smartphone et on le restitue n’importe où. Bien sûr, plus il y a de voitures, mieux on est servi. A ce jour, aucune offre n’a été rendue publique, chacun se contentant d’étaler, dans les médias, sa puissance de frappe. Côté allemand, BMW et Daimler prévoient de fusionner leurs filiales Drive Now et Car2Go pour réunir une flotte européenne de vingt mille véhicules avant la fin de l’année. Les Français semblent toutefois mieux positionnés. Renault Mobility, par exemple, a déjà activé son offre « thermique » (véhicules fonctionnant au carburant) et devrait la compléter par des Twizy et des Zoé électriques. PSA, qui a construit un réseau de 700 Citroën C-Zéro et implanté son service à Madrid au printemps, est allé plus loin en créant carrément une marque dédiée aux nouvelles mobilités, Free2Move.

Reste que ces acteurs du free floating sont confrontés au même problème : si leurs abonnés ne trouvent pas de place pour se garer au moment de rendre la voiture, le service ne vaudra pas tripette. Sans compter que les scooters leur dament le pion en la matière : pas d’abonnement nécessaire, un casque glissé sous la selle, des temps de circulation imbattables et toujours un bout de trottoir pour se garer… à en croire une consoeur à Télérama, vraie routarde des mobilités alternatives parisiennes, les 1500 deux roues électriques lancés il y a deux ans par CityScoot ne sont « pas donnés, mais sont aussi addictifs qu’une tablette de chocolat » — à partir de 20 centimes la minute NDLR. Assez pour bousculer les forces en présence sur l’échiquier de l’autopartage.

“Paris a montré au monde qu’une automobilité électrique partagée à grande échelle était possible”

Une chose est sûre : la Mairie ne ferme aucune porte. Semble même assez favorable au panachage des offres « en boucle » et en « free-floating. Pour la collectivité, la fin d’Autolib’ est en effet l’opportunité de repenser l’autopartage dans un contexte urbain en constance mutation. Pas question, cette fois, d’investir les deniers de la collectivité dans une délégation de service public : à l’avenir, la Mairie jouera seulement le rôle de régulateur entre les différents opérateurs.

La diversité de ces derniers pose néanmoins la question de la cohérence. Surtout quand on sait que les Autolib’ ont surtout été utilisées pour remplacer les transports en commun et n’ont guère eu d’impact sur la démotorisation. « C’est le rôle d’une grande métropole de tester des choses et Paris a montré au monde qu’une automobilité électrique partagée à grande échelle était possible, estime Nicolas Louvet, directeur du bureau d’études en mobilité 6-t. Mais si les élus voulaient sauver les ours blancs et réduire le nombre de voitures individuelles, ils auraient dû assumer, en faisant payer au propriétaire le vrai coût du stationnement résidentiel, plus proche de 200 euros mensuels que de 45. »

Autre interrogation : comment va-t-on s’y retrouver dans cette offre pléthorique de montures à deux ou quatre roues ? Scoot ou vélo ? Citadine flottante ou berline au carré ? Pass Cityrider ou carte Mobizen ? Quand on pense au choix complexe que représentera bientôt un trajet sur une chaussée encombrée de trottinettes, de vélos, de scooters et de voitures en tous genres, on a déjà l’embrayeur qui coince. PSA, justement, a pris les devants, avec son application Free2move, qui recense également les offres concurrentes pour proposer à son million d’abonnés européens la solution la plus adaptée. On rêve déjà d’une plateforme de mise en relation globale aussi futée que celle d’Autolib… A quoi bon la variété, si les offres restent méconnues ? Tenez, on vous parie une roue de secours que vous n’aviez jamais entendu parler du Service de véhicules partagés de la Mairie de Paris : signalées sur la voirie par le label SVP, 226 places de stationnement sont ainsi réservées aux clients de cinq opérateurs partenaires. Décidément, les services municipaux ont du pain sur la planche (à roulettes ?)

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