Manotti, Lier Horst, Rotella… Dix polars pour un été glaçant

Nos journalistes Michel Abescat et Christine Ferniot ne vous laissent pas partir en vacances la valise vide. Ils proposent la crème des polars pour apprécier votre séjour. Frissons garantis.

Par Michel Abescat, Christine Ferniot

Publié le 07 juillet 2018 à 13h00

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 01h20

Désespérant et pourtant jubilatoire : “Racket” de Dominique Manotti

Depuis 25 ans et une douzaine de romans noirs, Dominique Manotti décrypte l’histoire sociale de la France, du blanchiment d’argent aux trafics d’armes, de la corruption politique aux bavures policières. Cette fois, elle revient sur l’attraction du pouvoir et de la monnaie avec l’affaire Alsthom, devenue Orstam, où l’on voit un géant américain avaler un joyau de l’industrie française. Mais cette auteure, biberonnée aux œuvres de Hammett et Chandler, n’oublie jamais qu’elle écrit une fiction. Dans les couloirs des banques et des ministères qu’elle parcourt avec gourmandise, grenouillent de jeunes cadres pourris jusqu’à la moelle, des politiciens jongleurs de fric qu’elle décrypte par le menu. Surgit alors une policière, Noria Ghozali, qui n’a pas l’intention de passer pour une lampiste. Rythmé, brutal, écrit au présent et nettoyé de toutes scories, Racket nous propulse dans le monde des manipulations de haut vol et de la pire des comédies humaines. Désespérant et pourtant jubilatoire. C. F.
Ed. Les Arènes, coll. « Equinox », 500 p. , 18 €.


Subtil et minutieusement composé : “Les Chiens de chasse” de Jorn Lier Horst

On s’installe dans ce roman comme dans un paysage familier. Une petite ville balnéaire au sud d’Oslo, un officier de police chevronné, compétent et soucieux de justice, père d’une jeune journaliste, enquêtrice ambitieuse et mordante. Bref tout le plaisir du polar scandinave, tendance Mankell et Indridason plutôt que Nesbo, sans esbrouffe ni rebondissements tonitruants. Mais subtil, minutieusement composé, délicatement intriguant. Tandis que le père se débat dans les méandres d’une vieille affaire qui le met personnellement en cause, la fille se lance sur la piste d’un meurtre tout frais. 8° enquête de William Wisting (la deuxième traduite en français), écrite par un ancien policier, Les Chiens de chasse a le charme à explosion lente des meilleurs séries scandinaves. M. A.
Traduit du norvégien par Hélène Hervieu, éd. Gallimard, coll. « Série noire », 463 p., 21 €.


Un roman d’apprentissage de haute qualité : “Le Salon de beauté” de Melba Escobar

Ne vous fiez ni au titre ni à la couverture, ce livre n’est pas une bluette mais un roman noir qui plonge dans la société colombienne où les femmes valent moins qu’un clou. Karen, jolie métisse ballotée par la vie, trouve du travail dans un « salon de beauté » de Bogota et pense que le pire est derrière elle. Dans les cabines d’esthétique, les langues se délient, les amitiés et les amours se font puis s’oublient jusqu’au jour où une cliente de Karen est retrouvée morte. Penchant tantôt vers le thriller, tantôt vers le polar politique, voici une œuvre caracolante et tragique qui se tourne aussi vers le roman d’apprentissage de haute qualité. C. F.
Traduit du colombien par Margaux N’Guyen Béraud, éd. Denoël, coll. « Sueurs froides », 240 p. , 20 €.


Des personnages complexes et passionnants : “Les Cancrelats à coups de machette” de Frédéric Paulin

Frédéric Paulin met son sujet à distance en imaginant une enquête ici et maintenant, en France, autour d’une série de meurtres de Noirs particulièrement violente. Très vite l’enquête établit qu’il s’agit d’une vengeance et renvoie à l’année 1994, au Rwanda, quand les Hutus massacrèrent les Tustsis. 800 000 à un million de morts en l’espace de trois mois. Le livre passe d’une époque à l’autre, largement documenté, précis, puissamment incarné par une série de personnages complexes et passionnants. Court, vif, en alerte permanente, il ne ménage pas son lecteur. Il témoigne contre l’oubli. Sans épargner la France, coupable a minima d’avoir fermé les yeux. M. A. 
Ed. Goater, 244 p., 18 €.


Il y a du Ken Loach chez cette jeune romancière : “Les Chemins de la haine” de Eva Dolan

Pas jolie-jolie l’économie libérale en Grande Bretagne. Prenez la petite ville de Peterborough au nord est de Londres. La police y enquête sur une sale histoire de travailleur estonien brûlé vif après avoir été enfermé dans une cabane de jardin. Exploitation des immigrés, haines raciales, pauvreté, chômage, hypocrisie politique, tout est réuni pour une enquête menée par l’inspecteur Zigic, d’origine polonaise et la sergent Ferreira, venue du Portugal. Tous deux sont spécialisés dans les crimes de haine. Il y a du Ken Loach chez cette jeune romancière qui parle de zones d’ombre, d’esclavagisme moderne et de misère quotidienne tout en composant une enquête au cordeau. C. F.
Traduit de l’anglais par Lise Garond, éd. Liana Levi, 444 p., 22 €.


Horreur ou humour noir ? : “Jesse le héros” de Lawrence Millman

Ce texte est sur le fil, distillant jusqu’au malaise le doute sur son personnage principal, un adolescent attardé, opaque, attachant d’abord, puis de plus en plus inquiétant. C’est lui qu’on entend d’un bout à l’autre du livre qu’il sature de sa présence fièvreuse et ambiguë. A Hollinsford, dans le fin fond du New Hampshire, en 1968, Jesse est élevé par un père dépassé par son comportement. Agité par la violence de ses désirs, fasciné par les images du Vietnam qui explosent sur l’écran de la télévision, Jesse attend le retour de son frère, parti là-bas. Il rêve, lui aussi, de devenir un héros, de sauter les filles, de chasser les « bridés ». Mais quand Jeff revient, rien ne se passe comme il l’espérait et Jesse va se lancer, seul, dans une épopée tragique et sanglante. Portrait au scalpel, âpre et sans concession, plongée à vif dans la folie d’un gamin chauffé à blanc par la télé et les propos de bistro de son entourage, Jesse le héros a été publié aux Etats-unis en 1982. A l’instar de son personnage, il dérange par son ambiguité : horreur ou humour noir ? M. A.
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Claro, éd. Sonatine, 208 p., 19 €.


Une œuvre picaresque au cynisme truculent : “Les Valises de Juan Carlos” de Mendez Guedez 

Ce voyage au Vénézuela n’est pas une sinécure, entre la violence des gangs et celle du régime politique. L’auteur, qui vit désormais en Espagne, met en scène un pauvre héros, prénommé Donizetti (demandez pourquoi à son père !), mauvais amant, rédacteur soumis et porte valise très obéissant pour un patron dont il ne sait pas grand chose. Jusqu’au jour où ce garçon sans aspérité se rebiffe et décide de résister. Roman kafkaïen et pétri d’humour, Les valises est une œuvre picaresque sur la manipulation avec une bonne dose de cynisme truculent. C. F.
Traduit de l’espagnol par René Solis, éd. Métailié, 368 p., 21,50 €.


Tout est faux et tout est vrai : “Trafiquants et associés” de Sebastian Rotella

Ceux qui ont lu Triple Crossing et Le chant du converti ne seront pas déçus par ce troisième roman de Sebastian Rotella. Ils y retrouveront le duo Valentin Pescatore, ancien flic américain de la police des frontières devenu détective privé, et Léo Mendez ex-policier mexicain à nouveau engagé dans un journalisme de combat. Un peu à la manière de l’auteur, grand reporter, spécialiste des questions de terrorisme international, de crime organisé, de sécurité et d’immigration, finaliste du prix Pulitzer en 2006. D’où l’intérêt de ce nouveau roman précisément documenté, juste dans ses moindres détails : lieux, personnages, liens entre mafias et multinationales. Le livre s’ouvre sur la découverte de migrantes africaines massacrées dans un motel à la frontière du Mexique et des Etats-Unis, entraîne Pescatore et Mendez à Lampedusa et dans les faubourgs de Naples. Il s’agit d’un polar bien sûr, vivement conduit, riche en rebondissements, mais, d’une certaine manière, pour l’auteur-journaliste d’une façon de poursuivre par d’autres voies sa mission d’information. Tout est faux et tout est vrai. Comme chez Don Winslow, auteur du fameux Cartel paru en France en 2016. M. A.
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Françoise Bouillot, éd. Liana Levi, 356 p., 21 €.


Ça vaut le détour : “Meurtres sur la Madison” de Keith McCafferty

La Madison est une rivière à truites du Montana. Et pas n’importe laquelle. C’est là qu’on pêche à la mouche en professionnel. On prend soin de choisir ses leurres et de patienter le temps qu’il faut. Une fois le décor planté, il suffit d’ajouter un cadavre au fond de l’eau et une shérif, Martha Ettinger qui vaut le détour. Sans parler de Sean Stranahan, drôle de zèbre qui vit nuit et jour avec sa canne à pêche et ses amours déçues. Ça sent bon le premier épisode d’une nouvelle série pleine de dépaysement où l’auteur, journaliste, prend son temps pour nous faire respirer le bon air de l’Ouest, le vrai. N’est-ce pas exactement ce qu’il faut pour se croire en vacances ?
C. F.
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Janique Jouin-de-Laurens, éd. Gallmeister, 380 p., 23,50 €.


Un auteur au style enlevé et efficace : “Janvier noir” d’Alan Parks

Prenez tous les clichés du roman noir à l’américaine : un flic d’une trentaine d’années qui en paraît cinquante, enfance difficile, amours compliquées, liaison tumultueuse avec l’alcool et la dope, une ville essorée par la crise, mise en coupe par la mafia, explosée par les inégalités. Mettez les dans les mains d’un auteur au style enlevé et efficace, fin connaisseur de la littérature noire, porté sur la critique sociale et le jeu avec les stéréotypes… et vous obtiendrez un savoureux premier roman, singulière variation sur les standards du genre. Ecossais, Alan Parks situe ce premier opus d’une série qui devrait en compter une douzaine, à Glasgow, en 1973. McCoy, son héros, est confronté à un meurtre annoncé par un de ses indics en prison. Un jeune homme tue une toute jeune femme et retourne l’arme contre lui sous les yeux de la police arrivée trop tard. Géographie intime d’une ville tout en nuances de gris, approchée avec un sens aigu des atmosphères, âpre et formidablement attachante tout à la fois, Janvier noir ouvre une série à suivre ! M. A.
Traduit de l’anglais (Ecosse) par Olivier Deparis, éd. Rivages, 368 p., 22,50 €.

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