Gio Ponti, l’œuvre méconnue d’un monument de l’architecture et du design

L’architecte et designer italien a incarné l’élégance milanaise, tout en finesse, en gaieté et en légèreté. Les Arts décoratifs lui consacrent enfin une grande rétrospective.

Par Xavier de Jarcy

Publié le 18 octobre 2018 à 18h00

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 01h14

Quelle œuvre immense ! Sa première grande rétrospective au musée des Arts décoratifs le révèle enfin : Gio Ponti (1891-1979) est un monument de l’architecture et du design du XXe siècle. Par la longévité de sa carrière, des années 1920 aux années 1970. Et aussi par l’étendue de ses talents : en architecture, il a signé à peu près tous les types de bâtiment possibles, de la maison au gratte-ciel, du musée à l’église, et même le siège du gouvernement pakistanais à Islamabad.

Il est l’un des premiers architectes internationaux, œuvrant non seulement dans sa ville de Milan, mais aussi en France, aux Etats-Unis ou au Vénézuela. En design, il a conçu avec la même attention poignées de porte, aménagements de paquebots, mobilier, machine à café, céramiques, et même une automobile, confortable et lumineuse, hélas jamais produite. Gio Ponti a été directeur artistique de l’éditeur de lampes Fontana Arte, il a aussi lancé la revue Domus, qui a centré le design italien sur l’aménagement de la maison, un choix dont l’influence se fait encore sentir.

« L’état d’esprit de Gio Ponti est typiquement milanais, raconte Salvatore Licitra, son petit-fils et gardien des archives. Cette ville travailleuse et ouverte sur le monde aime la nouveauté. » Dans la cité lombarde, capitale économique et culturelle de l’Italie, Ponti a donc signé trente-six bâtiments répertoriés. « Il ne souhaitait pas fabriquer un paysage milanais typique, mais voulait que ses propositions s’adressent au monde entier. Un peu comme le gothique international de notre cathédrale. Milan a toujours été ainsi. Nous ne voulons pas être comme Florence ou Venise, qui sont des villes splendides, mais restent très italiennes. »

“Toute son œuvre exprime la finesse, l’élégance, la légèreté.”

Ponti cherchait donc à rivaliser avec Paris, qu’il aimait et connaissait, puisqu’il s’était rendu à l’Exposition internationale des arts décoratifs de 1925. Il y avait rencontré Tony Bouilhet, le directeur de l’orfèvrerie Christofle, qui, en 1926, lui avait commandé une villa néo-palladienne à Garches. « Ponti voulait montrer à la France de quoi le style italien était capable. Toute son œuvre exprime la finesse, l’élégance, la légèreté », dit Salvatore Licitra. Il débute en 1925 par une villa Novecento, ce style nostalgique, prolongement du XIXe siècle, promu par Margherita Sarfatti (1881-1961), la muse de Mussolini. Après avoir construit ainsi plusieurs immeubles de logements, Ponti se rapproche dans les années 1930 du rectiligne style international incarné par le Bauhaus, tout en s’en distinguant par ses références au classicisme et son usage de la couleur.

La Villa Planchart à Caracas (Mexique), 1957.

 

La Villa Planchart à Caracas (Mexique), 1957.

 

© Antoine Baralhé

« Chez lui, de la façade aux textiles, tout est en harmonie, poursuit Salvatore Licitra. Ce n’était pas seulement un architecte. A l’image du réalisateur Stanley Kubrick, il supervisait tout pour créer un univers. Son engagement était total. Il disait d’ailleurs : “Je suis un artiste tombé amoureux de l’architecture.” »

Cette recherche de cohérence aboutit, après 1945, à la forme diamantée, sa signature, qui lui permettra d’unifier tous les éléments de son architecture comme de son design. Du palazzo Pirelli (1956), premier gratte-ciel milanais (beaucoup mieux que la tour Montparnasse), repérable au premier coup d’œil à ses bords biseautés, à l’église San Francesco al Fopponino (1964), toujours à Milan, il décline le diamant en vitrail, en auvent, en carreaux de terre cuite donnant du relief aux façades.

L'église San Francesco al Fopponino à Milan (1964).

L'église San Francesco al Fopponino à Milan (1964). © X.J.

Là aussi, Ponti adresse un clin d’œil à l’Histoire : le palais des Diamants, bâti au XVe siècle, est l’un les plus célèbres de Ferrare, et l’on peut retrouver la forme en pointe dans la dentelle de pierre de la cathédrale milanaise. Un autre de ses principes, mis en œuvre dans le palazzo Pirelli comme dans ses meubles, consiste à laisser la structure apparente pour en révéler la beauté. Chaque pied de table, chaque pilier de ses bâtiments est affiné, aminci. L’usage des édifice est lisible, la fonctionnalité des objets mise en évidence. Les meubles sont souvent transformables : « Il voulait faire participer les utilisateurs. »

Pour Salvatore Licitra, l’œuvre de Gio Ponti incarne avant tout l’art de vivre. « Il avait imaginé un immense paquebot très lent, dont la destination n’avait pas d’importance : le bateau-tortue. » Dans ses intérieurs, il supprime les couloirs, organise la circulation autour du living-room, qu’il prolonge par un balcon. Les fenêtres des appartements deviennent de petites architectures meublées, de petits théâtres dont les habitants sont les acteurs.

Même dans les immeubles de bureau, l’architecte soigne les détails. Au début des années 1930, l’entreprise chimique Montecatini lui commande son siège social, chargé d’exprimer la modernité de la firme. Ponti y étudie la mise en place de tous les éléments, de la dimension des tables à la distance entre les chaises et les fenêtres. La façade fait sa fierté : l’immeuble Montecatini est le premier édifice de Milan entièrement plaqué de marbre, grâce à un système de découpe imaginé par l’architecte, permettant d’obtenir des plaques minces et légères. Ponti se rend lui-même dans la carrière pour choisir le veinage gris-bleu.

L'immeuble Montedoria à Milan (1971).

L'immeuble Montedoria à Milan (1971). © X.J.

L’architecte-designer s’est tenu à l’écart des académismes et des querelles d’école. Il est resté mal identifié. C’est en partie pourquoi « l’Italie a un un problème avec Ponti », admet Salvatore Licitra.

Car, du début à la fin, par passion pour son métier, le maestro a travaillé avec tout le monde. Y compris sous Mussolini, où Ponti a répondu à quelques commandes officielles, dont la Torre Littoria (aujourd’hui Torre Branca) à Milan, belvédère métallique de 108 mètres de haut construit en 1933. « Mais il ne s’est pas engagé politiquement : sa sensibilité le rattachait aux catholiques sociaux, ce qui est peu compatible avec le fascisme, assure son petit-fils. Après la guerre, des critiques et des historiens ont désapprouvé ses changements de style, ou ont comparé son palazzo Pirelli à une pièce de design agrandie. Mais seul un microcosme italien le voit ainsi. Ce n’est pas du tout le cas aux Etats-Unis ou au Japon. »

Comme son ami Piero Fornasetti (1913-1988), fantasque et éclectique créateur d’objets, « son œuvre inclassable a nui à sa reconnaissance », confirme le fils de ce dernier, Barnaba Fornasetti. Qui explique aussi son relatif manque de notoriété par le fait que « Ponti a exercé son activité à une époque où l’important était le projet et pas la signature qu’il y avait derrière. Le phénomène du designer ou architecte star n’est né qu’à partir des années 1990 ».

Machine à café La Cornuta, pour La Pavoni, 1948.

Machine à café La Cornuta, pour La Pavoni, 1948.

© Gio Ponti Archives, Milan

En dépit des malentendus, Ponti, dans sa blouse d’atelier taillée comme une veste de costume, continuait imperturbablement d’avancer, installé dans la cour de son immeuble de la via Dezza, dessiné en 1957. Comme le dit si bien Salvatore Licitra, « son premier outil de travail, c’était l’enthousiasme ».

A VOIR : « Tutto Ponti, Gio Ponti archi-designer », jusqu’au 10 février au musée des Arts décoratifs (MAD), 107, rue de Rivoli, Paris 1er.

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