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Marcel Cerdan à la conquête de l'Amérique et du monde

RetroNews Sportsdossier
par Gilles Dhers
publié le 2 mars 2019 à 15h01

Chaque samedi avec RetroNews, le site de presse de la BNF, retour sur une histoire de sport telle que l’a racontée la presse de l’époque. Cette semaine: la lente ascension de Marcel Cerdan vers les sommets et sa brutale disparition dans une catastrophe aérienne.

«Le punch de Gustave Humery arrêtera-t-il l'ascension de Marcel Cerdan ?», s'interroge Ce soir du 21 mai 1938. Ce jour-là, au Palais des Sports de Paris, le «jeune» (22 ans) Cerdan affronte le «vieux» (8 ans de plus) Humery, titre national des mi-moyens en jeu. Cerdan, affiche alors un palmarès sans tache : 37 victoires en autant de rencontres depuis sa première, le 10 novembre 1934. Malgré ce CV flatteur, le boxeur de Casablanca, reste un inconnu en France. Il n'a livré son premier combat en métropole que quelques mois plus tôt, en octobre 1937. Le journal souligne que le ring français a besoin de jeunes et soupèse les chances de chacun des deux combattants : «Cerdan a moins d'expérience, cela va de soi. Il a plus d'ardeur, cela aussi va de soi. Les partisans d'Humery placent leur confiance sur les défauts de son adversaire. Il est imprudent, il n'a pas de garde. Alors n'est-ce pas autant dire que le poing d'Humery va passer comme sous l'Arc de Triomphe.»

Cerdan bat Humery par K.O. au 6e round, comme le rapporte Paris-Soir du 22 mai.

Le même jour, Le Petit Parisien signale aussi la victoire de Cerdan, mais s'inquiète de le voir remonter trop rapidement sur le ring, puisque son prochain combat est prévu deux semaines plus tard. «Ne gaspillons pas la belle vitalité de Marcel Cerdan», titre le journal. Qui s'interroge : «Est-ce bien prudent de remettre sur un ring de combat aussi rapidement le jeune Nord-Africain ?»

«La merveilleuse carrière de Marcel Cerdan, boxeur malgré lui.» Ça, c'est du titre coco. On le trouve dans Le Petit Journal du 24 mai 1938.  La victoire du «bombardier marocain» contre Humery le propulse en haut de l'affiche. Le Petit Journal retrace ses débuts pour ses lecteurs non avertis des choses pugilistiques : «Notre Marcel était destiné au sport. A la boxe surtout. Ses trois frères étaient boxeurs et l'aîné, Vincent, qui vit actuellement en Amérique, avait même disputé en 1923 un finale de championnat de France. Quant au père, il ne voyait que par la boxe. C'est dire comment l'actuel champion de France fut bien mal accueilli lorsqu'il émit la prétention de jouer avec des camarades dans une équipe de football. Il y joua cependant, ce qui prouve qu'il avait de la volonté, et faisait même, paraît-il, un très bon ailier droit… Mais le père Cerdan, ne l'entendait pas de cette oreille. De gré ou de force, il obligea son fils à s'entraîner avec ses frères au noble art de la boxe. Puis, quand il jugea qu'il se débrouillait convenablement avec le sac de sable, il le remit entre les mains de son ami Roupp qui devait par la suite continuer d'être son manager. Et Roupp a fait de Marcel Cerdan un champion…» Un champion, qui, malgré ses résultats «n'aime pas mieux la boxe», comme il le confie au journal : «Je retournerai bien jouer dans une équipe de football. Pourtant, une chose me tente : l'Amérique. Il paraît qu'on voudrait me voir là-bas.»

L'Amérique, Cerdan ne la connaîtra que bien plus tard (victoire contre Harold Green au Madison Square Garden de New York le 28 mars 1947). En attendant, il enchaîne les combats (quasiment un par mois), d'Alger à Bruxelles en passant Paris, Marseille ou Londres. C'est le 21 février 1939, au lendemain d'une victoire (aux points) au Palais des sports, contre Saverio Turiello, qu'on retrouve le «bombardier de Casablanca». Il a gagné sans séduire les journalistes du Petit Parisien: «Si une fois de plus, Cerdan afficha une volonté formidable, une vitesse appréciable et une vitalité qui firent pousser des "ah!" d'admiration au Palais des sports tout entier, il se montra par contre imprécis, monocorde…» Il n'a pas impressionné non plus sa victime du jour : «J'étais fatigué par la longue série de combats que je viens de livrer, commente Saverio Turiello. Cerdan est jeune et plein de qualités, c'est entendu, mais, en match-revanche, et avec un mois de préparation sévère, je crois qu'il me sera possible de le battre.»

Trois mois et demi plus tard, Turiello et Cerdan se retrouvent, mais à Milan, sur les terres de l'Italien. Pour un scénario identique au premier combat : le Français, malmené en début de combat, s'impose néanmoins aux points et conquiert le titre européen des welters. Ce soir du 5 juin, nous apprend qu'un spécialiste italien de boxe qualifie Cerdan de «véritable catapulte humaine». Et le journal n'envisage pas la suite de la carrière de Cerdan ailleurs qu'aux Etats-Unis.

La guerre contrecarre les envies d'Amérique de Cerdan, de son entourage et de la presse française. Cerdan boxe essentiellement en Afrique du Nord ou dans le Sud de la France. Ce n'est qu'en avril 1942 qu'il revient combattre à Paris, où il est accueilli par un journaliste de Paris-Soir.

Si finalement, Marcel Cerdan rencontre un boxeur américain, c'est à Alger, le 20 février 1944, lors des finales du tournoi interallié. Dans des conditions météo hostiles, il ne fait qu'une bouchée du Joe de Martino, comme le rapporte l'Echo d'Alger : «Et voici le champion d'Europe. Du froid, on sent moins les morsures. ça réchauffe de savoir qu'il va tout venger. Et, de fait, notre Marcel, bien décidé à vaincre, fonce sur son adversaire…»

En décembre 1945, c'est un champion sans titre, comme le qualifie Regards, qui affronte Assane Diouf, champion de France des poids moyens. «A 29 ans, si la malchance cesse de le poursuivre, Marcel peut être demain champion du monde», envisage le journal.

En janvier 1946, Cerdan bat Edouar Tenet. Il est désormais évident, que les rings français et européens sont désormais trop étroits pour Cerdan. Regards, du 1er février, est catégorique : Cerdan, ne doit plus consumer son talent dans des combats de deuxième zone, «il y remplirait peut-être son portefeuille, mais il y perdrait son prestige. Comme un auteur qui galvaude sa signature au bas de romans-feuilletons.»

En mai 1946, la presse française parle de «match du siècle» à propos du combat entre Marcel Cerdan et Robert Charron. Si Cerdan l’emporte, confirmant les pronostics, la rencontre, particulièrement hachée et décousue, déçoit les 37 000 spectateurs du Parcs des princes. La petite histoire veut que ce soit le lendemain que Cerdan rencontre pour la première fois Edith Piaf, qui deviendra sa maîtresse. Sportivement parlant, Cerdan va enfin pouvoir se lancer dans l’aventure américaine.

Le grand jour de la carrière de Marcel Cerdan est fixé au 21 septembre 1948 à Jersey City. Il rencontre l'Américain Tony Zale, titre mondial des poids moyens en jeu. C'est un événement en France. Malgré le décalage horaire, la radio publique diffusera le match en direct. «On peut penser que nombreux seront les sportifs français, qui, la nuit prochaine, sacrifieront quelques heures d'un sommeil réparateur afin d'écouter à la radio le reportage du match, écrit l'Aube. […] Marcel Cerdan sera-t-il champion du monde ? Voilà une question délicate à résoudre qui ne se serait certainement pas posée si la guerre n'avait interrompu, pendant plusieurs années, la carrière du boxeur marocain. Nous répondrons néanmoins par l'affirmative à cette interrogation.»

En battant Tony Zale par abandon à l'appel de la 12e reprise, Cerdan devient le sixième français champion du monde de boxe. «La récompense de dix ans d'efforts d'un boxeur loyal et consciencieux», titre l'Aube du 23 septembre. «Cerdan, champion du monde ! Cette nouvelle qui s'est répandue comme une traînée de poudre dans les milieux sportifs français a comblé de joie les nombreux supporters du sympathique boxeur marocain. Les profanes eux-mêmes ont compris la signification de ce succès retentissant qui honore un pugiliste loyal et consciencieux en même temps qu'il hisse le prestige de notre sport au premier plan international. Cerdan a amplement mérité ce titre qui lui eût échu presque obligatoirement si la guerre n'avait pas interrompu pour plusieurs années sa brillante carrière. Il a dû attendre dix ans de plus, mais il est tout de même arrivé à exaucer ses vœux.» Ce succès fait de lui une mégastar. À son retour en France, Cerdan est accueilli à Orly en héros. Des dizaines de milliers de personnes lui rendent hommage dans les rues de Paris qu'il sillonne à bord d'une décapotable. Il sera même reçu à l'Elysée par le président Vincent Auriol.

Neuf mois plus tard, en juin 1949, Marcel Cerdan perd son titre contre l'Américain Jake LaMotta. Après plusieurs reports, le match revanche est fixé au 2 décembre 1949, toujours au Madison Square Garden de New York. Il se raconte que Cerdan et son entourage devaient faire le voyage en bateau, mais que sur l'insistance d'Edith Piaf, qui se morfondait de lui aux Etats-Unis, il ait finalement décidé de prendre l'avion pour retrouver plus rapidement sa maîtresse. Un avion qui n'arrivera jamais à destination. Le lockheed Constellation d'Air France qui assure la liaison Paris Orly - New York La Guardia se crashe aux Açores dans la nuit du 27 au 28 octobre 1949. Les 48 passagers et membres d'équipage périssent dans l'accident. «Marcel Cerdan n'est plus. Cette nouvelle a jeté la consternation dans les milieux sportifs français où Cerdan ne comptait que des amis, écrit l'Œuvre du 29 octobre. Après Georges Carpentier, l'ancien champion du monde était sans aucun doute celui qui s'était rendu le plus populaire en portant à l'étranger le prestige de la boxe telle qu'on la pratique sur nos rings. Populaire, certes il l'était par la force de ses coups et la subtilité de sa boxe, mais sa grande modestie, son courage, sa cordialité, sa gentillesse avaient forcé la sympathie. Il faisait partie de ces hommes au grand cœur qui ne sont jamais si heureux que quand ils ont pu faire plaisir à des amis.»

Trois jours plus tard, l'Aube revient sur le drame : «La dépouille de Marcel Cerdan a pu être reconnue, grâce à l'une des montres que le champion portait au poignet gauche ; il en avait habituellement trois sur lui, au cours de ses déplacements : l'une lui donnait l'heure de Paris, une autre l'heure de Casablanca, la troisième l'heure de New-York.»

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