“La loi de la vallée”, trois ans avec les résistants de la vallée de la Roya

En accueillant des réfugiés, les habitants de la vallée de la Roya, dans les Alpes-Maritimes, se sont mis hors-la-loi. Chronique d’une solidarité à haut risque, diffusée conjointement par Arte et Public Sénat (à 21h ce soir).

Par Christine Chaumeau

Publié le 11 mai 2019 à 13h00

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 00h54

En juin 2015, face à la menace terroriste, l’Etat français a rétabli le contrôle à la frontière franco-italienne, entre Vintimille et Menton. Résultat : pour atteindre la France, les migrants se sont mis à emprunter des chemins de montagne qui mènent aux villages de la ­vallée de la Roya, dans les Alpes-­Maritimes. Là, souvent à bout de forces, ces exilés – hommes, femmes et enfants – sont accueillis et hébergés par des citoyens solidaires. Un geste naturel à leurs yeux. Un délit pour l’Etat.

Le documentaire de Nuno Escudeiro, La Loi de la vallée, est la chronique de cette résistance face à la brutalité d’une politique qui se cantonne ici à l’expulsion de ces migrants. « Au cours des trois années de tournage, les bénévoles de l’association Roya ­Citoyenne ont pris conscience des irrégularités commises par les représentants de l’Etat », explique le réalisateur. En ­témoigne cette séquence où, sous les yeux de leur avocat, les quatre membres d’une famille érythréenne sont reconduits en Italie. Quelques ­semaines plus tard, le tribunal administratif de Nice condamne l’Etat pour avoir « porté une atteinte grave au droit d’asile », en refusant de délivrer à ces personnes le dossier leur permettant d’enregistrer leur demande d’asile.

Une autre condamnation concerne le cas de mineurs isolés qui auraient dû être pris en charge par le Département, et dont les dates de naissance ont été falsifiées par des policiers – « C ’est incroyable le nombre de femmes africaines qui ont accouché le 1er janvier 2000 ! », ironise l’avocate Mireille Damiano.

Outre le toit, le couvert et souvent l’écoute qu’ils offrent aux réfugiés, les habitants solidaires de la Roya pallient les carences de l’administration. Et font bouger les lignes. Ils ont réussi à faciliter le passage des migrants vers Nice, où ils les accompagnent dans leurs démarches. En échange, ils fournissent leurs identités aux autorités.

Car la vallée est bouclée. Comme en état de siège. Des barrages filtrants sont installés sur les routes pour contrôler les véhicules et débusquer les personnes en situation irrégulière. Gendarmes et unités Sentinelle (réservées en principe à la lutte contre le terrorisme) sont mobilisés. Des drones survolent même les propriétés des hébergeurs. Un dispositif intimidant, dont le coût quotidien est estimé à plus de 60 000 euros. Sans parler des gardes à vue et des condamnations des membres les plus actifs du réseau, dont l’agriculteur Cédric Herrou est devenu la figure emblématique.

« J’ai ressenti dans la Roya un sentiment diffus, complexe. Comme une peur d’agir, une sensation d’être sous pression, détaille Nuno Escudeiro, Portugais vivant en Italie. Cela m’a fait penser à ce qu’on me racontait de l’atmosphère durant la dictature au Portugal. » Sur la question des migrants, on entend souvent « Fermons les portes ! », déplore-t-il. Un discours simpliste qui, selon lui, « ne permet pas de réfléchir à des solutions ». « C’est d’autant plus inquiétant que la tentation de l’autoritarisme demeure en Europe. En ces temps troublés, chacun a la responsabilité d’agir sur le cours que prend l’Histoire. »


on aime beaucoup La Loi de la vallée, samedi 11 mai, 21.00, Public Sénat, et mardi 14, 23.40, Arte.

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