Chronique|

Des princesses pas si inoffensives

Cet univers qui, on va se le dire, encourage des stéréotypes gros comme le bras, serait-il plus toxique qu’il n’y paraît? Tout dépendrait de l’estime corporelle qu’ont les petites filles.

Il y a environ un mois, ma grande de six ans est revenue de l’école avec deux beaux yeux au beurre noir. Elle avait pleuré, et son mascara avait coulé.


Bin oui, du mascara, toé chose ! À six ans. Pour aller à l’école. La p’tite vlimeuse avait, ce matin-là, subtilisé mon tube et s’était servie sans que mon chum s’en aperçoive — c’est lui qui s’occupe de la mettre dans l’autobus.

C’était la première fois qu’elle fouillait dans mes quelques cosmétiques, et je soupçonne son spectacle de ballet, quelques jours plus tôt, d’être derrière cette initiative. Même si à son âge elle ne connaît pas encore la différence entre un demi-plié et un chassé, il fallait absolument la grimer de fard à joues, d’ombre à paupières et de rouge à lèvres pour l’ultime prestation.

« Wow ! Je suis belle ! », s’était-elle exclamée en se regardant longuement dans le miroir ce jour-là.

« Tu es toujours belle, ma cocotte ! » que je lui avais répondu.

Et c’est ce que je lui ai répété quand j’ai vu son visage barbouillé ce mardi-là. « Je ne veux pas que tu touches à mon maquillage. Tu n’en as pas besoin », ai-je pris soin d’ajouter.

« Oui, mais je suis plus belle avec du maquillage. Je ressemble à une princesse », a-t-elle rétorqué avec une moue boudeuse.

Univers Disney et estime corporelle

Les princesses... Comme bien des petites filles, les miennes sont naturellement attirées vers cet univers qui provoque chez moi une réaction mitigée en encourageant les stéréotypes gros comme le bras. Sans les encourager à y entrer, je ne leur en bloque toutefois pas l’accès. L’interdit attire de toute façon, que je me dis.

Mais est-ce que ce monde de froufrous, de paillettes et de princes charmants serait encore plus insidieux qu’il n’y paraît ?

Tout dépendrait de l’estime corporelle qu’ont les petites filles à la base, selon une étude de l’Université Brigham Young, en Utah, parue dans la revue Child Development en 2016, rapportait le magazine L’Actualité cette même année.

La chercheuse en psychologie Sarah Coyne et ses collègues ont suivi près de 200 jeunes pendant un an afin de déterminer l’impact d’une forte consommation de princesses Disney sur leurs attitudes et comportements. « Les chercheurs n’ont pas constaté qu’un contact étroit avec les princesses avait nui à l’estime corporelle des petites filles lorsqu’ils les ont revues au bout d’un an. En revanche, les fillettes qui n’aimaient pas leur corps au départ avaient tendance, 12 mois plus tard, à fréquenter davantage cet univers — comme si elles cherchaient des modèles dans ces héroïnes gracieuses au physique idéalisé », est-il dit dans L’Actualité.

Il ne faut pas pour autant conclure qu’une exposition à l’univers Disney est sans danger. Les petites filles s’y identifient généralement entre trois et six ans, « précisément l’âge auquel les stéréotypes de genre se cristallisent », souligne la chercheuse. « C’est à cette période critique que les tout-petits commencent à se faire une idée de ce que ça veut dire d’être un garçon ou une fille dans leur société. » Bref, c’est à cet âge-clé que les petits construisent leur identité sexuée.

Ce qu’elle a observé, c’est que « plus les enfants consommaient de films et de jouets associés aux princesses Disney [...] plus ils étaient devenus, 12 mois plus tard, typiquement féminins dans leurs activités et leurs préférences ».

Perspectives restreintes

Bien entendu, il n’y a aucun mal à aimer les « affaires de filles ». Le danger se situe plutôt quand ces « affaires » viennent à faire croire aux petites filles « que leurs perspectives dans la vie sont limitées en raison d’idées préconçues sur le genre, ou si elles se privent de certaines activités essentielles », peut-on lire dans L’Actualité, qui cite en exemple le fait de ne pas jouer à certains jeux pour ne pas se salir, ou se restreindre dans ses mouvements pour préserver son apparence.

Une autre étude, plus récente celle-là, mentionne également que l’univers des princesses Disney incite les petites filles à être plus passives. « Une fois leurs déguisements revêtus, [elles] se sont concentrées sur leur apparence physique et ont passé leur temps à rechercher des habits et accessoires pour faire en sorte de ressembler à leurs personnages préférés. [...] En somme, ces enfants semblaient retenir de leurs dessins animés préférés que leur beauté est leur atout principal et que les biens matériels les rendent plus belles encore », rapportait Le Figaro en septembre dernier suite à la publication d’une étude dans la revue scientifique Sex Roles.

Les deux auteures derrière les recherches déconseillent toutefois aux parents et aux éducateurs d’éradiquer complètement [cet univers] du quotidien de leurs enfants. « En les interdisant, les parents écartent toute possibilité de discussions avec leurs enfants sur le sujet des messages stéréotypés présents dans les médias, et ne peuvent plus envisager de les faire raisonner dessus », disent-elles.

Avoir des ailes 

Les enfants ont cette capacité innée de s’aimer tels qu’ils sont. Peut-être avez-vous vu, comme moi, cette vidéo dans laquelle on demandait à des adultes et des tout-petits ce qu’ils changeraient de leur corps s’ils en avaient la possibilité.

Alors que la majorité des adultes pensaient immédiatement à corriger la partie qu’ils aimaient le moins, les enfants rêvaient plutôt à ce qu’ils pourraient améliorer. Certains voulaient des ailes pour voler, un autre des jambes de guépard pour courir plus vite, une petite fille voulait même se téléporter toute seule.

Ces idées fantaisistes rejoignent en quelque sorte, selon moi, ce pour quoi l’univers des princesses attire autant les jeunes filles. Elles les transportent dans l’imaginaire de tous les possibles.

Il n’y a aucun mal à fantasmer, si on ne prend pas nos rêves pour des réalités. Et il est là, le travail du parent. Doser, discuter, faire raisonner. Bref, éduquer, être présent. Comme pour à peu près tout, c’est la base quand on élève un enfant. Donner l’exemple, aussi. Beaucoup. Mais je suis persuadée que ne pas en faire tout un cas est aussi parfois très bénéfique.   

On n’a pas tant discuté de l’épisode maquillage, ma fille et moi. Je crois même qu’elle l’a oublié. Elle n’a plus retouché à mon mascara, et a repris sa vie d’enfant. Elle est prête pour la Journée sans maquillage, ce jeudi 6 juin.