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Le jour de l’umuganda, tout le monde travaille au Rwanda

Le dernier samedi de chaque mois, les citoyens participent au travail communautaire afin de servir la collectivité ou d’aider des personnes en difficulté.

Par  (envoyĂ© spĂ©cial Ă  Rwamagana, Rwanda)

Publié le 01 août 2017 à 09h54, modifié le 01 août 2017 à 12h39

Temps de Lecture 4 min.

Près de Rwamagana, dans l’est du Rwanda, le jour de l’umuganda (les travaux communautaires), le 24 juin 2017.

Il est 7 h 30 et, en ce jour de juin, le soleil est dĂ©jĂ  haut dans le ciel. Munis d’une pelle, d’une bĂŞche ou d’une simple balayette, les habitants du secteur de Gishari, dans l’est du Rwanda, convergent vers une piste tracĂ©e au milieu d’une bananeraie. Dans le district de Rwamagana, mais Ă©galement partout ailleurs dans le pays, c’est le jour de l’umuganda. Le dernier samedi de chaque mois, de 8 heures Ă  11 heures, chaque Rwandais doit participer au travail communautaire afin de servir la collectivitĂ© (en construisant un pont, une Ă©cole, un centre de soins…) ou d’aider une personne en situation difficile.

« Le programme du jour est assez chargĂ©, explique Marc Rushimisha, secrĂ©taire exĂ©cutif du secteur de Gishari. Nous avons un double objectif : dĂ©sherber et nettoyer complètement cette piste, puis construire une maison pour une habitante du village, veuve, dont l’habitation a Ă©tĂ© dĂ©truite lors d’une tempĂŞte. Â» Les actions dĂ©finies lors de l’umuganda (qui signifie, en kinyarwanda, « le pilier de la maison Â») sont dĂ©cidĂ©es par un comitĂ© local composĂ© d’élus mais elles doivent Ă©maner des citoyens. Si nĂ©cessaire, les outils et les matĂ©riaux sont payĂ©s par la collectivitĂ©. « Aider une personne fragile est un critère qui est privilĂ©giĂ© lorsque nous dĂ©finissons nos objectifs, prĂ©vient Radjab Mbonyumuvunyi, maire du district de Rwamagana. Le but est de se mobiliser, de rĂ©unir toutes les Ă©nergies pour faire face Ă  une urgence. Â»

Amende et opprobre

La participation au travail communautaire est obligatoire pour toute personne considĂ©rĂ©e comme apte, homme ou femme, entre 18 et 60 ans. Il existe quelques possibilitĂ©s d’amĂ©nagement, comme pour les adventistes qui ne travaillent pas le samedi, mais toute absence doit ĂŞtre justifiĂ©e par l’envoi d’un SMS ou d’un coup de tĂ©lĂ©phone Ă  une autoritĂ© locale. L’umuganda est inscrit dans la Constitution rwandaise et une absence non justifiĂ©e peut ĂŞtre sanctionnĂ©e par une amende allant de 1 000 Ă  5 000 francs rwandais (entre 1 et 5 euros). Mais le fait de ne pas participer au travail communautaire pourrait surtout faire passer le contrevenant pour « un lâche, ce qui est plus grave qu’une amende, prĂ©vient le maire. Il pourrait aussi se faire blâmer lors d’une rĂ©union publique et perdre sa crĂ©dibilitĂ© Â».

Plusieurs centaines de personnes s’affairent aujourd’hui autour de la construction de la maison. Peu après 8 heures, les plans de l’habitation (quatre pièces) sont tracĂ©s au sol par les architectes du district. Une demi-heure plus tard, les maçons commencent Ă  Ă©riger la base des murs. Ceux qui n’ont pas de compĂ©tences dans le domaine de la construction nettoient la piste ou apportent des briques en les portant sur la tĂŞte ou sur l’épaule. Une dame âgĂ©e participe elle aussi en apportant de petites bouteilles d’eau aux ouvriers.

« Je suis parti très tĂ´t de chez moi pour participer et j’en suis très heureux, assure ThĂ©ogène, 38 ans, qui multiplie les allers-retours en portant des briques. Je connais la dame que nous aidons et c’est quelqu’un de bien. C’est important d’aider les autres. On ne se sent pas Ă  l’aise quand on sait qu’une veuve se retrouve du jour au lendemain sans maison avec ses quatre enfants. Â» « Nous travaillons tous ensemble dans la bonne humeur et c’est sympa, lance Emmanuel, 54 ans. L’umuganda dĂ©veloppe les Ă©changes entre nous Â»

« Mauvaises herbes Â»

En plus des gacaca (ces tribunaux populaires qui ont jugĂ© près de 2 millions de personnes jusqu’en 2012) et du poids important de la religion, le travail communautaire peut ĂŞtre considĂ©rĂ© comme un moyen qui a permis aux Rwandais d’apprendre Ă  revivre ensemble après le gĂ©nocide qui a fait 800 000 morts, en grande majoritĂ© tutsi, entre avril et juillet 1994. L’umuganda daterait de l’époque prĂ©coloniale. Il existait dĂ©jĂ  sous le rĂ©gime de JuvĂ©nal Habyarimana, dont l’assassinat a marquĂ© le dĂ©but des massacres.

« Mais Ă  cette Ă©poque, le travail communautaire Ă©tait l’occasion de montrer sa bonne disposition vis-Ă -vis du rĂ©gime et il n’y avait pas que des discours bienveillants, se souvient Assumpta Mugiraneza, historienne et sociologue. Les chefs en profitaient pour exercer leur pouvoir sur ceux qu’ils n’aimaient pas. Pendant le gĂ©nocide, l’umuganda a servi de prĂ©texte pour augmenter la cadence des massacres, une sorte de compĂ©tition destinĂ©e Ă  “couper plus de mauvaises herbes que les miliciens de la colline d’en face”. Le FPR [Front patriotique rwandais, aujourd’hui au pouvoir] avait promis de le supprimer après la fin du gĂ©nocide et il l’a fait. C’est au dĂ©but des annĂ©es 2000 que l’umuganda a Ă©tĂ© rĂ©instaurĂ©, très prudemment, et dans le seul but de servir la communautĂ©. Â»

Pour que l’umuganda fonctionne, il faut une société structurée, organisée et très décentralisée, comme l’est le Rwanda d’aujourd’hui. Il faut aussi que tout le monde, à tous les échelons de la société, se retrousse les manches. Dans le district de Gishari et ailleurs, policiers et militaires travaillent aux côtés des villageois, des autorités locales et même d’une députée qui a fait le déplacement depuis Kigali.

Opération reboisement

« L’umuganda rĂ©sulte d’une volontĂ© politique et vise Ă  tisser du lien social autour d’un mĂŞme objectif, explique Athanasie Nyiragwaneza, Ă©lue au Parlement. Quand on travaille ensemble, on discute, on s’entraide, on s’encourage, on plaisante… Le Rwanda a connu l’enfer. Ses habitants ont dĂ©cidĂ© de changer et de reconstruire leur pays en ne comptant que sur eux-mĂŞmes. Â»

Au sommet de l’Etat, Paul KagamĂ© participe Ă©galement Ă  l’umuganda lorsqu’il est au Rwanda. Le samedi 24 juin, le prĂ©sident, qui devrait ĂŞtre rĂ©Ă©lu Ă  la tĂŞte du pays pour un troisième mandat, vendredi 4 aoĂ»t, a participĂ© Ă  une opĂ©ration de reboisement dans une forĂŞt situĂ©e près de Kigali.

Il est 11 heures, l’umuganda se termine. Chacun range ses outils et se dirige vers la maison communale pour une longue sĂ©ance d’échanges entre la population et les Ă©lus. Le bilan du jour est assez positif : la piste est totalement nettoyĂ©e et les murs de la nouvelle maison ont Ă©tĂ© dressĂ©s. « Il reste Ă  faire la toiture, mais le maire m’a promis qu’il y aurait un umuganda spĂ©cial la semaine prochaine pour tout finir, se fĂ©licite Alivera, la future propriĂ©taire. Je suis impatiente de passer ma première nuit dans ma nouvelle maison. Dès le lendemain, j’irai remercier tous les habitants. Â»

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