INTERVIEWUn Lundi vert, sans poisson ni viande, « n’est pas un gadget écologique »

Lundi vert : « S’interroger sur nos habitudes alimentaires n’est pas anecdotique pour l’environnement »

INTERVIEWPas de viande ou de poisson le lundi. Cette résolution, les chercheurs Nicolas Treich et Laurent Bègue-Shankland proposent aux Français de la faire sienne. C’est le « Lundi vert » dont ils lancent, en ce début octobre, une deuxième campagne. Entretien
Une assiette végétarienne.
Une assiette végétarienne.  - Pixabay / Pixabay
Fabrice Pouliquen

Propos recueillis par Fabrice Pouliquen

Les actrices Cécile de France et Juliette Binoche, la navigatrice Isabelle Autissier, les animateurs Stéphane Bern et Flavie Flament, le moine bouddhiste Matthieu Ricard, le mathématicien et député Cédric Villani… Le 2 janvier 2019, l’économiste Nicolas Treich, directeur de recherche à l’Inrae (Institut national de la recherche pour l’agriculture et l’alimentation et l’environnement), et Laurent Bègue-Shankland, professeur de psychologie sociale et membre de l’Institut universitaire de France (IUF) étaient parvenus à réunir 500 personnalités autour d’une bonne résolution ambitieuse : se passer de viande et de poisson chaque lundi…

La tribune, qui invitait les Français à faire de même, avait eu un certain succès médiatique. En ce début octobre, les deux chercheurs lancent une deuxième campagne autour du « lundi vert ». Et les stars, ce coup-ci, ce sont les légumineuses. Nicolas Treich répond à 20 Minutes.

Comment est née l’idée d’un « lundi vert » en France ?

La démarche s’inscrit dans un mouvement plus global lancé depuis une quinzaine d’années dans plusieurs pays, notamment aux Etats-Unis. L’idée est à chaque fois de pousser à l’instauration d’un jour sans viande dans la semaine, le plus souvent le lundi mais pas toujours. Nous avions constaté avec Laurent Bègue-Shankland qu’il n’y avait pas, à notre connaissance, d’initiative similaire en France. C’est ce qui nous a poussés à lancer « lundi vert », avec quelques variantes par rapport à ce qui peut exister à l’étranger. Nous incitons déjà les gens à ne manger ni viande ni poisson sur une journée, quand les initiatives ailleurs recommandent souvent de ne simplement pas manger de viande. Impliquer des personnalités médiatiques dans la campagne est une autre de notre particularité. Enfin, parallèlement à la campagne médiatique, nous avons lancé un site Internet où les gens désireux de se lancer dans la démarche peuvent s’inscrire et ainsi profiter d’un suivi mais aussi de participer à une étude scientifique nationale sur le suivi alimentaire.

Quel bilan tirez-vous de cette première campagne « lundi vert » ?

Son impact est difficile à mesurer, tout simplement parce que nous manquons de données sur la consommation alimentaire réelle des Français. On sait aussi que les habitudes alimentaires sont très tenaces, on n’en change pas facilement. Et des initiatives comme « lundi Vert » ne sont pas encouragées par certains acteurs puissants, comme le lobby de la viande. Nous avions toutefois fait une enquête auprès de 2.000 personnes représentatives de la population française, un mois après le lancement du « lundi vert ». 51,5 % des personnes interrogées avaient entendu parler du « lundi vert », 10,5 % d’entre elles disaient l’avoir mis en œuvre et 25,1 % avaient l’intention de le faire. Ça reste un sondage à manipuler avec des pincettes, mais c’est encourageant. Et puis tout de même, cette première campagne a au moins eu un impact significatif avec la reprise du «lundi vert» dans la restauration universitaire. Les 800 Crous de France encouragent chaque lundi les étudiants à opter pour un menu végétarien. Peut-être que des restaurants ou des cantines d’entreprises s’y sont mis également. Nous ne le savons pas très bien.

Pourquoi lancer aujourd’hui une deuxième campagne de communication autour du « lundi vert » ?

Nous avions arrêté cette première campagne jusqu’à fin 2019 à peu près, en nous disant que nous la relancerons courant 2020. Nous le faisons parce que s’interroger sur nos habitudes alimentaires n’est pas anecdotique pour l’environnement. Ce n’est pas un gadget écologique. Dans un article publié sur The Conversation, nous avons essayé de calculer quel impact aurait le « lundi vert » s’il était suivi par tous les Français. On en arrive à une estimation d’environ 100 kg d’équivalent CO2 (CO2e) économisé par personne et par an. En multipliant par le nombre d’adultes en France, on obtient alors une réduction totale d’environ 5 millions de tonnes de CO2 par an. C’est l’équivalent de ce qu’émet le trafic aérien intérieur en France [les lignes domestiques ndlr]. Pourtant, les politiques environnementales actuellement menées portent assez peu sur notre alimentation, beaucoup moins par exemple que sur les transports.

La loi #EGalim demande toutefois à la restauration scolaire – de la maternelle au lycée-, de proposer au moins un menu végétarien par semaine depuis le 1er novembre dernier*…

C’est un peu la mesure emblématique de cette loi #EGalim. Cela va effectivement dans le bon sens même s’il s’agit pour l’instant que d’une expérimentation menée sur deux ans. On voit tout de même que les choses bougent, il y a du positif. Un exemple : le ministère de la Transition écologique appuie notre deuxième campagne « lundi vert », son logo est sur nos affiches dans le métro. Mais si on revient à la loi Egalim, ça reste globalement une déception. On sait que les différences d’impacts écologiques sont importantes d’une production alimentaire à une autre, plus précisément entre les produits animaux et les produits végétaux. Pourtant, la loi Egalim n’a pas de mesures fortes qui permettraient de réguler nos productions et consommations alimentaires alors que ce doit être la priorité absolue. Il existe par exemple une taxe carbone en France sur les énergies fossiles [qui renchérit le coût du carburant et du gaz et vise ainsi à modifier les comportements des consommateurs]. On aurait pu imaginer un mécanisme semblable dans l’alimentation. L’agriculture génère tout de même un quart des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Et ce n’est pas son seul impact environnemental. L’agriculture contribue aussi à la pollution de l’air, via notamment les émissions d'ammoniac, celles de l'élevage en particulier.

Pourquoi mettez-vous l’accent sur les légumineuses cette année ?

C’est l’une des nouveautés de cette deuxième campagne. Le message de la première était surtout de s’abstenir de manger de la viande ou du poisson chaque lundi, mais nous ne proposions pas alors d’alternatives végétales pour remplacer ces protéines animales. Or, ça nous semble important de réfléchir aux substitutions, ne serait-ce pour éviter que les gens se tournent vers des produits ultra-transformés. Nous avons ainsi choisi d’insister sur les légumineuses [les haricots secs, les fèves, les pois chiches, les doliques, les lentilles…], parce qu’elles cochent un peu toutes les cases. Sanitaire déjà : les légumineuses sont riches en protéines, en fibres, en glucides complexes. Elles sont d’ailleurs recommandées par les guides nutritionnels un peu partout dans le monde. Mais leur production a aussi beaucoup d'atouts d’un point de vue écologique, en particulier parce que ces plantes captent l’azote si bien qu’on n’a pas besoin de leur ajouter des engrais de synthèse.

Le rapport de la commission Eat-Lancet [paru en janvier 2019 et qui s’est penché sur ce que pourrait être un régime alimentaire à la fois bon pour la santé et bon pour la planète, ndlr], préconise une consommation de légumineuses de 75 grammes par jour, soit environ dix fois plus qu’actuellement en France. C’est tout le problème chez nous : notre consommation de légumineuses a considérablement baissé depuis un siècle et est aujourd'hui l'une des plus faibles dans le monde. Il serait bon de les redécouvrir : il y a des plats succulents à base de lentilles, de haricots blancs ou rouges qu’on a un peu trop oublié en France. C’est aussi à ça qu’aspire cette deuxième campagne de « lundi vert » : que le monde de la gastronomie réintroduise ces légumineuses dans nos assiettes.