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ENQUETE. Des étudiantes dénoncent des violences sexuelles dans des résidences universitaires

Alertée, l'Unef a lancé un appel à témoignage notamment dans les résidences universitaires.

Marie Quenet , Mis à jour le
Deux étudiantes victimes de violences sexuelles posent devant la résidence universitaire Gallois (en travaux) où l'une d'elles a été agressée. Photo prise le 17 novembre 2021.
Deux étudiantes victimes de violences sexuelles posent devant la résidence universitaire Gallois (en travaux) où l'une d'elles a été agressée. Photo prise le 17 novembre 2021. © Sylvain Lefevre pour le JDD

Elle ne veut plus vivre là. "Quand je rentrais à l'appartement, les souvenirs remontaient. Ça me hantait. Pendant des mois, j'ai eu l'impression d'être une coquille vide." L'étudiante lilloise de 21 ans témoigne, les larmes aux yeux et mains crispées. Dans cette résidence universitaire du Nord, affirme-t-elle, elle a été violée le 18 janvier 2021 : "L'agresseur habitait à quelques mètres de ma chambre." Ce soir-là, raconte-t-elle, un jeune homme demande des feuilles de tabac à rouler sur un groupe Facebook de locataires. Elle le dépanne, et pour la remercier, il lui propose un joint. "J'ai eu la bêtise d'accepter", culpabilise-t-elle. Elle lui ouvre sa porte. Pourquoi se méfier? Il prépare un doctorat, parle de sa petite amie…

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Mais peu à peu les questions se font plus intimes. Et la jeune fille, sous antidépresseurs et peu habituée au cannabis, se sent rapidement mal. Elle finit dévêtue et se voit, dit-elle, forcée de faire une fellation. "J'ai obéi à ce qu'il demandait, je n'étais pas dans mon état normal, je me sentais glacée de l'intérieur", décrit-elle.

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Une enquête lancée fin novembre

Après un dépôt de plainte de la jeune femme deux jours plus tard, l'étudiant est convoqué par la police. Il assure qu'elle était consentante. Parole contre parole ; l'affaire est classée sans suite. La jeune femme se désole : "Je n'ai pas eu d'autre choix que de revenir ici." Elle prévient le centre régional des oeuvres universitaires et scolaires (Crous), qui gère la résidence à loyers modérés pour les jeunes. L'homme qu'elle accuse de viol rend ses clés… fin juin. Mais cela ne l'apaise pas pour autant. Cauchemars, hypervigilance, idées suicidaires… Mi-novembre, elle effectue un séjour en hôpital psychiatrique.

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Les messages que je recevais n'étaient pas insultants, mais insistants. Je ne me sentais plus à l'abri chez moi

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Selon les enquêtes les plus récentes, entre un quart et un tiers des étudiantes ont connu au moins un fait de violence au cours des douze derniers mois : injure sexiste, harcèlement sexuel, agression sexuelle ou viol. Il n'existe pas de statistiques sur l'endroit où cela se produit. "Nous avons eu plusieurs remontées concernant des résidences gérées par le Crous", prévient Mélanie Luce, la présidente de l'Union nationale des étudiants de France (Unef ). Pour en savoir plus, le syndicat a lancé fin novembre une enquête. "Ça reste tabou. C'est difficile de libérer la parole dans un lieu où tout le monde se côtoie", soupire Eléonore Schmitt, secrétaire nationale de l'Alternative, autre syndicat étudiant.

Un groupe Messenger "Balance ton résident"

Dans les 174.000 places gérées par le Crous, comme dans celles des résidences privées, l'un des problèmes évoqués est le harcèlement. "Un soir, quelqu'un a tenté d'insérer sa clé dans ma serrure, en affirmant que c'était sa chambre. J'ai ouvert pour lui dire qu'il se trompait. Je me suis retrouvée face à un gars qui faisait trois têtes de plus que moi. Il insistait : 'Allez, tu ne veux pas te détendre?' Il m'empêchait de fermer ma porte et tentait d'entrer", se souvient une étudiante en santé. "Un jeune est venu toquer chez moi pour utiliser mon micro-ondes, j'ai accepté, raconte une étudiante en droit. Mais il est revenu tous les soirs. Et il me bombardait de messages : 'Coucou princesse, je peux passer?'"

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Pendant le confinement, certains hommes ont été jusqu'à faire du chantage affectif : "Si tu ne me parles pas, je vais me foutre en l'air." Les jeunes femmes, elles, n'alertent pas forcément la direction. "Je ne savais pas quoi faire, explique l'une. Les messages que je recevais n'étaient pas insultants, mais insistants. Je ne me sentais plus à l'abri chez moi."

A Nanterre, des étudiantes avaient même créé un groupe Messenger "Balance ton résident". "Quand un type tambourinait à la porte d'une locataire, cette dernière pouvait demander de l'aide aux autres", explique une responsable de l'Unef. Des étudiantes hébergées en résidence évoquent aussi un sentiment d'insécurité quand elles rentrent seules le soir. Dans certains campus, ouverts sur l'extérieur, il faut longer des bosquets, des zones inhabitées et mal éclairées. Certains Crous ont pris des mesures. Celui de Nanterre, par exemple, a installé des lampadaires, des caméras, et propose, la nuit, un service d'accompagnement depuis la gare RER. Mais cela ne suffit pas toujours. Une locataire a signalé avoir été agressée par un autre résident en avril 2020. "Je me fais accoster par des types bourrés, se plaint une étudiante de Roubaix. J'ai toujours une clé serrée dans mon poing. J'ai lu, sur Internet, que ça pouvait servir pour se défendre."

"J'ai dû prendre trois douches en trois mois!"

Les agresseurs sont parfois étrangers au campus. Comme cet homme qui se masturbait devant la fenêtre d'une étudiante logée au rez-de-chaussée à Grenoble. Ou cet autre à Paris qui squattait un hall d'entrée et baissait son caleçon. Malgré les digicodes, les portes peuvent être forcées. Et il n'y a pas de gardien à demeure dans chacune des 792 résidences du Crous. "La vidéoprotection tend à se généraliser, indique Alexandre Aumis, le sous-directeur hébergement et patrimoine du Centre national des oeuvres universitaires et scolaires (Cnous). Elle est étendue aux parties communes et aux couloirs."

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Le Crous, c'est un peu l'angle mort de la politique universitaire contre les violences sexuelles

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Si l'on en croit l'enquête annuelle de satisfaction menée auprès des locataires, une très grande majorité (81,2%) considèrent "leur résidence sécurisée". D'autres, beaucoup moins… Notamment quand leurs chambres n'ont pas de cuisine ou de sanitaires privatifs (respectivement 35% ou 5% du parc). "A la cité Galois, les salles de bains étaient mixtes. Les garçons essayaient de nous mater, rapporte une ancienne locataire lilloise. Alors on s'arrangeait avec les filles de mon étage. L'une se lavait, l'autre gardait la porte. J'ai dû prendre trois douches en trois mois!"

Sans parler des résidents qui se baladaient à moitié nus dans les couloirs. Mais ce bâtiment vétuste est à présent en cours de rénovation : les nouvelles chambres auront chacune une kitchenette, une douche et des W.-C.

Former les agents du Crous

Les résidences n'échappent pas non plus aux violences conjugales. "Des jeunes filles se font frapper par leur petit ami, mais n'osent rien dire, rapporte Marwan Mohad, référent de l'Unef à Aix-Marseille. Comme le règlement intérieur du Crous interdit en principe d'héberger quelqu'un dans sa chambre, elles craignent d'avoir des ennuis."

Une campagne sur le consentement début 2022 Pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles, le ministère de l'Enseignement supérieur a déjà pris des mesures : mise en place d'une cellule d'écoute dans chaque université, campagne d'information… Dès 2018, il était question de former tous les agents du Crous. "Ces formations ont démarré en 2020. L'objectif est de terminer courant 2022", affirme Alexandre Aumis, du Cnous. Fin octobre, un plan national d'action a été lancé. Les dispositifs de signalement vont être renforcés.

Les opérations de sensibilisation se multiplient. Le Cnous et deux Crous viennent de remporter un appel à projets sur ce thème. Et tous prendront part à la campagne sur le consentement prévue en début d'année 2022. Les syndicats étudiants, eux, espèrent de nouvelles avancées. "Le Crous, c'est un peu l'angle mort de la politique universitaire contre les violences sexuelles, estime la présidente de l'Unef. Nous voulons qu'il y ait des référents dans chaque résidence et que ce ne soit plus les victimes qui déménagent, mais l'agresseur présumé." A Lille, la jeune étudiante a préféré décliner la proposition de relogement faite par le Crous. Elle s'est installée dans un hébergement privé. Et tant pis s'il faut payer 25% plus cher pour un studio plus petit. Elle soupire : "Je préfère me sentir en sécurité."

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