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"Je suis flic parce que c’est ma profession. Je suis noir parce que c’est ma couleur, je suis fier de l’être mais je ne veux pas être vu comme tel. Je suis musulman, c’est ma religion mais je n’en fais pas la publicité et je suis avant tout un policier français."
"Je suis flic parce que c’est ma profession. Je suis noir parce que c’est ma couleur, je suis fier de l’être mais je ne veux pas être vu comme tel. Je suis musulman, c’est ma religion mais je n’en fais pas la publicité et je suis avant tout un policier français."
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Abdoulaye Kanté, "flic, noir et musulman": "Le discours victimaire est un danger"

Entretien

Propos recueillis par

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Dans son ouvrage « Policier, enfant de la République » (Fayard), publié le 26 janvier, Abdoulaye Kanté retrace son parcours plein d'espoir. À la fois « flic, noir et musulman », il témoigne avec justesse des conditions de travail d’une profession en pleine remise en question.

Marianne : Vous commencez votre ouvrage par la description de votre journée du 13 novembre 2015. Comment cela a-t-il bouleversé votre conception du métier de policier ?

Abdoulaye Kanté : Chaque policier se souvient de ce qu’il faisait à ce moment précis. J’étais d’astreinte ce jour-là, je regardais le match de football au Stade de France à la télévision. Je suis fan de l’OM, je connais l’ambiance des stades, quand j’ai entendu la première explosion, je me suis dit que c’était une bombe agricole comme ça se fait souvent, mais à la deuxième, j’ai su que quelque chose n’allait pas.

Mon chef m’a appelé et quelques minutes après, je partais en service. Ensuite, on a entendu toute la soirée à la radio les nouvelles. Tout le monde était sidéré, mais on devait faire notre devoir. Quand je suis arrivé au Stade de France pour recueillir des témoignages, j’ai vu le tronc d’un des terroristes qui s’est fait exploser. Ce sont des choses qui vous marquent.

« Les violences contre la police se sont banalisées, mais le suicide est multifactoriel. Nous, on va au charbon tous les jours et nous sommes des éponges de la société, confrontés à la violence pure tous les jours. Il y a 50 suicides par an en moyenne. »

Ce jour ne me quitte plus, d’autant plus que j’ai des copains qui y sont restés. Un camarade de promo fêtait son anniversaire avec sa femme en terrasse au restaurant la Belle Équipe ce soir-là. Ils avaient laissé leur enfant chez la belle-mère, ils ont été abattus par les djihadistes. Aujourd’hui, avec du recul, je suis encore plus déterminé. Ça a donné encore plus de sens à ce métier et m'a conforté dans l’utilité de mon quotidien.

Vous expliquez que le suicide de la jeune policière Maggy Biskupski en 2018 vous a en partie poussé à rédiger ce livre. Depuis le début de l’année, dix suicides dans la police ont été recensés. Dans quel état d’esprit se trouvent les forces de l’ordre aujourd’hui ?

Je connaissais personnellement Maggy. Avec ses frêles épaules, elle a été le porte-voix de la détresse des policiers, hors de du cadre de la hiérarchie et des syndicats. Car oui, il faut le dire, les violences contre la police se sont banalisées, mais le suicide est multifactoriel. Nous, on va au charbon tous les jours et nous sommes des éponges de la société, confrontés à la violence pure en permanence. Il y a 50 suicides par an en moyenne. On ne peut pas laisser les collègues dans la souffrance. Il faut qu’il y ait un accompagnement psychologique et que la hiérarchie soit plus paternaliste.

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Il y a deux jours, j’étais avec le chef de la Bac 93, ils ont fait une opération où ils ont dû sortir une femme brûlée au dernier degré d’un incendie. Après cette intervention compliquée, il a fait venir un psychologue directement pour le retour d’expérience. Il faudrait que ce soit obligatoire.

De la marine nationale à votre ascension au sein de la police, vous n’éludez pas les brimades et les remarques racistes que vous avez pu subir dans votre parcours. À aucun moment vous n’avez songé à jeter l’éponge ?

J’étais ce jeune qui sortait à peine du cocon familial. Mes parents m’avaient inculqué des valeurs très fortes. Arrivés en France comme immigrés, ils se sont battus pour dépasser le racisme en travaillant dur.

Quand j’étais dans la marine, on me donnait deux fois plus de boulot, je n’étais pas traité de la même manière que les autres. Un jour, alors que nous étions en pleine mer du Nord en route vers l’Islande, j’ai appelé ma mère grâce au téléphone satellitaire et je lui ai dit que j’étais sur le point de craquer, que c’était trop dur. Je me souviendrai toujours de ses mots : « Je sais que c’est dur, mais montre-leur que tu es fort, plus fort qu’eux, que tu dépasses tout ça. » Après ça, je suis allé dormir et je me suis levé avec plus de détermination.

Lorsque mon contrat s'est terminé, les collègues m’ont fait une haie d’honneur, et les supérieurs qui avaient été à l’origine de ces brimades m’ont félicité. Quand vous assistez à ce genre de réponse, vous vous dites que vous avez combattu plus profondément le racisme, alors que vous auriez pu verser dans la haine.

Dans ceux qui ne supportent pas de « voir des forces de l’ordre de couleur », vous renvoyez dos à dos l’extrême droite, et ceux à gauche qui vous traitent de « nègre de maison » et de « Bounty ». Vous êtes « flic, noir et musulman », est-ce qu'après toutes ces années, ce n’est pas finalement devenu une force ?

Je m’inscris contre les gens qui veulent me mettre dans une case. Je me définis ainsi car je suis un ensemble. Je suis flic parce que c’est ma profession. Je suis noir parce que c’est ma couleur, je suis fier de l’être mais je ne veux pas être vu comme tel. Je suis musulman, c’est ma religion mais je n’en fais pas la publicité et je suis avant tout un policier français. Je me suis déjà demandé si j’étais dans le « bon camp ». Mais finalement, ce dernier n’existe pas dans la République, on met l’uniforme, on sert le citoyen, peu importe qui il est.

« Quand vous vous imposez et que vous dites : je fais partie intégrante de cette société, vous pouvez dire aux personnes qui s’étonnent qu’il y ait des Noirs dans la police, que non seulement il y en a, mais qu’ils peuvent aussi vous verbaliser. »

C’est une force, en particulier quand je me rends dans les collèges ou les lycées. Je dénonce le racisme mais je rappelle que la police française ne l’est pas, elle est seulement le reflet de la société. La police est l’institution qui a recruté le plus dans tous les milieux sociaux ces dernières années, en particulier dans l’immigration.

Le discours victimaire est un danger, mais heureusement, c’est en train de changer. Quand vous vous imposez et que vous dites : je fais partie intégrante de cette société, vous pouvez dire aux personnes qui s’étonnent qu’il y ait des Noirs dans la police, que non seulement il y en a, mais qu’ils peuvent aussi vous verbaliser.

Au détour d’un chapitre, vous revenez sur le retentissement du film BAC Nord de Cédric Jiménez. À ceux qui l’accusent de nourrir une vision « pro-flic », vous rétorquez qu’il place « le spectateur dans la tête de ces flics confrontés à des situations très dures ». Que pensez-vous de sa récupération par certains candidats à la présidentielle ?

C’est d’être limité intellectuellement de se dire que ça fait le jeu des politiciens. Le film montre le côté humain de notre métier, le bon comme le mauvais. Le policier représente cet individu qui est obligé de se rendre dans des endroits délaissés par l’État, pour pallier ses manques avec des moyens dérisoires.

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BAC Nord montre la réalité. Dans les zones où le trafic de stupéfiants s’est installé, on pilonne les dealeurs, mais c’est un tonneau des Danaïdes.

« On sait qu’on veut en permanence nous instrumentaliser. Mais le policier se fiche de la politique, il veut juste qu’on lui donne des moyens pour bosser correctement avec les moyens adéquats. »

On intervient dans ces quartiers parce que ce sont les habitants qui nous sollicitent en premier lieu. Ces personnes n’ont pas forcément un bon salaire, se lèvent tôt, et quand elles rentrent chez elles, elles ne sont pas tranquilles à cause du trafic et des rodéos.

Pour ce qui est de faire le jeu de l'extrême droite, on sait qu’on veut en permanence nous instrumentaliser. Mais le policier se fiche de la politique, il veut juste qu’on lui donne des moyens pour bosser correctement avec les moyens adéquats.

À la fin de l’ouvrage, vous vous lancez dans un long plaidoyer pour l’amélioration de vos conditions de travail. À l’approche de la présidentielle, comment améliorer le rapport entre la police et les citoyens ?

On a malheureusement supprimé un modèle très utile selon moi et que j'ai vécu : celui de la police de proximité. Je prenais contact avec la bouchère, la boulangère et je servais les autres services avec mes informations. Il faut aussi s’ouvrir à une jeunesse par le biais d’activité extérieure. Aller dans les collèges et les lycées nous permet de nous rapprocher des gens et d’expliquer notre métier. Il faut casser les idées reçues et j’essaie à mon humble niveau de le faire.

On doit être des facteurs d’identification pour les jeunes. Des rôles modèles, à travers lesquels ils peuvent se dire qu’on peut casser le plafond de verre. Selon moi, ça faciliterait les rapports entre la police et la population. La police sera toujours là quand on l’appelle, mais elle doit aussi avoir la capacité d’entendre les critiques pour mieux agir.

Policier, enfant de la République, Abdoulaye Kanté, Fayard, 198 p., 17 euros.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne