Biophysique

L’éléphant court-il ?

L'allure rapide de l’éléphant n’est ni une marche ni une course : ses pattes arrière marchent tandis que celles de devant trottent !

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Contrairement aux apparences, le plus gros mammifère terrestre actuel se déplace très vite, avec des pointes de vitesse pouvant atteindre 20 kilomètres par heure. Mais si l’on considère la définition selon laquelle la course est un mouvement où, à certains moments, aucun des membres ne touche le sol, alors l’éléphant ne court pas : il a toujours au moins une patte en contact avec le sol. Pourtant, Joachim Genin et Norman Heglund, de l'Université catholique de Louvain, en Belgique, et leurs collègues ont montré que le déplacement rapide du pachyderme s’apparente à une course, de surcroît peu consommatrice en énergie.

Pour obtenir ces résultats, ils ont fait marcher et courir 34 éléphants asiatiques (Elephas maximus) pesant de 800 kilogrammes (des jeunes) à quatre tonnes (des adultes) sur une plateforme longue de huit mètres équipée de capteurs, pour enregistrer les forces de réaction engendrées par les appuis des animaux. Sur la base de ces mesures, les chercheurs ont reconstruit le mouvement de leurs centres de gravité, ainsi que leurs énergies potentielle et cinétique.

En théorie, lors de la marche de n’importe quel animal, le centre de gravité décrit le mouvement d'un pendule inversé : il est au plus haut quand la jambe est verticale et descend tandis que l'énergie potentielle est transformée en mouvement vers l'avant. Pendant la course, à l'inverse, le centre de gravité est au plus bas quand la jambe est à la verticale du point d'appui et remonte lors de l'extension, quand la jambe restitue l'énergie potentielle stockée dans les muscles et les tendons. Le mouvement du centre de gravité ressemble alors à celui d'un pendule inversé dont la tige serait un ressort (voir le schéma en pdf).

Quand l’éléphant se déplace lentement, en marchant, son centre de gravité oscille bien comme un pendule inversé. Mais quand l’animal accélère, son centre de gravité décrit un mouvement complexe : il reste à la même hauteur dans la première partie de la foulée, tandis que l’éléphant fait passer son poids d'un côté à l'autre, puis il descend et remonte durant la seconde partie de la foulée comme le centre de gravité d’un coureur.

Étant donné les déplacements de son centre de gravité, on peut considérer qu'à vitesse élevée, l’éléphant marche avec les pattes arrière et trotte avec celles de devant. Peut-être faudrait-il inventer un nom pour ce type de mouvement…

Les chercheurs ont en outre constaté que cette marche rapide consomme peu d’énergie : l’éléphant dépense, par unité de masse, trois fois moins de calories qu’un homme qui court, et 30 fois moins qu’une souris. Cela serait dû à une fréquence de pas élevée et une plus grande stabilité pendant la course : l'éléphant garde toujours deux pattes au sol à grande vitesse, et trois à vitesse modérée. En conséquence, son centre de gravité oscille proportionnellement moins que chez d'autres espèces, ce qui réduit le coût énergétique du déplacement rapide.

Cette étude pose la question du déplacement d'autres géants herbivores terrestres, également quadrupèdes, aux pattes verticales et supportant un poids équivalent à plusieurs éléphants : les dinosaures sauropodes. Ces dinosaures couraient-ils d'une façon semblable ? On peut le supposer, car limiter le coût énergétique est un avantage considérable. Reste à découvrir la piste de « course » d'un sauropode !

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Bénédicte Salthun-Lassalle

Bénédicte Salthun-Lassalle est docteure en neurosciences et rédactrice en chef adjointe à Cerveau & Psycho.

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