August Sander, voir, observer, penser, par Daniel Challe, photographe

Lackarbeiter, Cologne, 1932, August Sander

« Sander est un photographe de l’Etre, celui des hommes dans l’histoire, dans la société. Son regard éduqué, attentif ne nous propose pas un univers de la sensation – ou de l’appropriation esthétique par l’image – mais un régime de la connaissance. » (Daniel Challe)

Pour découvrir d’un point de vue savant l’œuvre d’August Sander (1876-1964), vous pouvez lire la magistrale étude d’Olivier Lugon publiée en 2001 chez Macula, Le style documentaire d’August Sander à Walker Evans, 1920-1945, ou simplement commencer par le livre sagace et synthétique de Daniel Challe, August Sander, paru chez Creaphis Editions, dont le catalogue entier est une ode à l’intelligence critique.  

Le photographe allemand identifié à la République de Weimar, bien qu’il traversât plusieurs régimes politiques très différents, est célébré dans le monde entier pour son œuvre majeure, Hommes du XXème siècle, qui fait le portrait, en sept sections (le paysan, l’artisan, la femme, l’artiste, la grande ville…), du peuple de son pays.

619 photographies dans l’édition anglaise People of the 20th Century, éditée par Die photographische Sammlung/SK Stifung Kultur et Schirmer/Mosel en 2013-2017.

L’ambition de totalité dans la représentation des visages et métiers d’une époque fait penser à un Balzac, ou à quelque chercheur cosmologue.

De père mineur, Sander, qui fut persécuté par les Nazis, commença par photographier son environnement rural immédiat en Rhénanie-Palatinat, avant de s’installer à Cologne et d’approfondir son regard sur la grande ville.

Le national-socialisme voulut faire disparaître l’Allemagne sous l’idéologie et la folie raciste, August Sander la sauve dans sa chambre photographique.

L’artiste au style documentaire a beaucoup lu, écrit, réfléchi, et pense son médium en termes de langage universel et de préservation d’une mémoire commune.

Sander, dont la constance dans l’exécution de son projet est admirable, croyait en la pluralité et l’universalité, au travail bien exécuté et à la culture populaire.  

Il ne s’agit pas par l’acte esthétique de montrer la force d’un génie unique, fût-il celui du photographe, mais de rassembler sous l’apparence du neutre – mais, à bien y regarder, chaque image est d’abord singulière – les particularités sociales, les signes d’appartenance, les destins communs.

Dans son livre princeps, Sander fait montre de silence, de respect, d’hospitalité, et d’un don d’observation exceptionnel, loin du manque d’attention produit très souvent par le monde moderne toujours plus pressé d’aller vers l’anéantissement de ce qui fonde poétiquement l’existence.

Il existe des polarités, des classes sociales, des modalités d’être en fonction des métiers embrassés, formant l’ensemble d’un tissu social qu’il faut tenter de penser dans la complémentarité des espaces et visages plutôt que selon des logiques forcément antagonistes.

Dans le Nazi regardé directement, précise Daniel Challe, August Sander voit l’homme ordinaire, non pas des surhommes, mais des hommes parmi d’autres, sans bien évidemment leur ôter la responsabilité de leurs actes.

Son intérêt pour les paysages procède, poursuit l’essayiste, d’une anthropologie visuelle convoquant l’histoire sociale, la géographie, l’économie, l’histoire du droit et des formes de gouvernement politique.

« Hommes du XXe siècle, écrit-il encore avec beaucoup de pertinence, rassemble et constitue une humanité où chacun a le même droit d’existence. La force n’y fait pas loi. C’est au contraire, dans la douceur et l’attention du regard du photographe que s’affirme une société politique où le mouvement vers l’autre peut constituer une ouverture, une hospitalité. »    

Daniel Challe, August Sander, édition Claire Reverchon / Pierre Gaudin / Aude Garnier, Créaphis Editions, 2022, 104 pages

http://www.editions-creaphis.com/fr/catalogue/view/1262/august-sander/?of=0

https://www.leslibraires.fr/livre/19846443-august-sander-un-photographe-d-allemagne-daniel-challe-creaphis?affiliate=intervalle

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