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Sécheresse, famine, djihadisme, invasion de criquets : les multiples plaies de la Somalie

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Par La Première sur base d'un reportage de Patricia Huon

Pas une goutte d’eau depuis deux ans, la pire sécheresse en 40 ans. Trois décennies de conflits. Les zones rurales toujours aux mains des djihadistes. Comme si cela ne suffisait pas, une invasion de criquets en 2022. Avec en conséquence de ces fléaux dont on ne sait lequel est le pire : la moitié du pays en état de famine, soit huit millions de personnes. Les populations sont déplacées dans des camps comme à Baidoa au sud-ouest du pays. La ville est protégée par les forces de l’Union Africaine et administrée par les autorités fédérales. Mais elle est encerclée par des régions sous la domination des milices islamistes d’al-Shabab.

l’armée nationale somalienne est déployée à Baidoa, ville encerclée par al-Shaabab
l’armée nationale somalienne est déployée à Baidoa, ville encerclée par al-Shaabab © 2022 Scott Peterson via Getty Images,

On ne peut pas dire aux gens de rentrer chez eux s’ils n’y ont plus rien

Si l’organisation djihadiste a perdu le contrôle des grands centres urbains, elle reste encore solidement implantée dans les campagnes. Elle dicte sa loi, applique de la sharia, force de jeunes combattants à les rejoindre, impose des taxes et des saisies sur les denrées achetées au marché. Avant les guerres, la région était un grenier à sorgho et un carrefour d’échange. Aujourd‘hui moins de 30% des terres habituellement cultivées le sont encore.

Un président de coopérative agricole fait le constat face aux deux problèmes majeurs que sont la sécheresse et l’absence de sécurité : "Nous avons besoin de formations, sur les cultures qui résistent à la sécheresse, sur l’irrigation. On ne peut pas dire aux gens de rentrer chez eux s’ils n’y ont plus rien. Il y a des fruits ou des céréales qui pourraient pousser ici mais ce n’est pas possible à cause de la situation sécuritaire".

Bétail victime de la sécheresse intense en 2022 en Somalie
Bétail victime de la sécheresse intense en 2022 en Somalie © Sopa images via Getty

Sécurité et soins au camp pour personnes déplacées de Baidoa

Le camp de personnes déplacées à Baidoa en Somalie, décembre 2022

C’est à Baidoa qu’est arrivée il y a quelques semaines Abshira Hassan, mère de six enfants avec l’espoir de trouver de quoi les nourrir et surtout pouvoir soigner sa petite dernière. La famille est rassemblée dans une cabane faite de branchages, de restes de tissus et de bâches. Une Somalienne parmi tant d’autres en quête de survie. Elle explique son douloureux parcours.

Ils m’ont dit de rentrer chez moi et de prier Dieu

"Avec la sécheresse nous avons tout perdu. Le puits s’est asséché, les récoltes ont été détruites. Puis ce sont les chèvres et les vaches qui sont mortes, et les réserves de grains se sont épuisées. Ma fille Barlin est tombée malade. Il n’y avait rien, pas de lait en poudre, pas de médicament. C’est pour cela que je devais emmener ma fille à l’hôpital".

Durant plusieurs jours de marche avec ses enfants sous un soleil de plomb, elle devra convaincre les soldats djihadistes de la laisser passer. Tous les mouvements sont sous contrôles des milices d’al-Shabab.

"Je les ai suppliés. Ce n’est pas leur enfant, ils s’en fichent qu’il survive ou pas. Ils m’ont dit de rentrer chez moi et de prier Dieu. Quand je leur ai montré à quel point la petite était malade, ils m’ont finalement accordé le passage moyennant un payement". Arrivée enfin à l’hôpital, malgré les soins, la fillette trop affaiblie ne survivra pas.

Jeune enfant souffrant de malnutrition sévère aiguë au camp de Baldoa en Somalie en 2022
Jeune enfant souffrant de malnutrition sévère aiguë au camp de Baldoa en Somalie en 2022 © 2022 Getty Images

Dans un centre de nutrition de la ville, une dizaine d’enfants et de nourrissons chétifs attendent dans les bras de leur mère d’être pesés et auscultés. Ce sont les nouvelles admissions. Les familles proviennent pour la majeure partie de régions éloignées de Baidoa. Là-bas, il n’y a pas d’accès aux vaccins, pas de dispensaire, la pneumonie et rougeole sévissent. Les mamans sont elles-mêmes trop faibles pour les allaiter, le lait de vache ou de chèvre a disparu avec la mort de ces animaux qui ne trouvent plus aucun fourrage. Environ un tiers des jeunes patients souffrent de malnutrition aiguë sévère, la forme la plus grave de malnutrition qui, si elle est laissée sans soins, entraîne la mort.

Une crise migratoire qui nécessite des investissements à long terme

Système de récolte des eaux de pluie construit par les dons d’une association irlandaise. Somalie, 2017
Système de récolte des eaux de pluie construit par les dons d’une association irlandaise. Somalie, 2017 © Scott Peterson via Getty Images,

L’aide alimentaire existe sous forme de denrées ou de tickets à échanger sur le marché. Mais ces actions à court terme ne sont pas suffisantes.

Adam Abdel Moulad, coordinateur de l’action humanitaire au centre de la mission d’assistance des Nations Unies en Somalie : "La dépendance des paysans à la saison des pluies doit changer face l’accélération du changement climatique. Actuellement, il n’existe pas de système de collecte ou conservation de l’eau. Les bailleurs de fonds sont prêts à donner de l’argent lorsqu’ils voient des photos d’enfants mourants, mais si on leur demande d’intervenir pour la construction d’un barrage ou pour le stockage de l’eau, ils sont réticents. C’est une vision à très court terme. Or, la probabilité que ces gens retournent chez eux diminue. Les éleveurs ont perdu leurs troupeaux, pour les agriculteurs, les terres n’assurent plus leur survie à cause du choc du changement climatique".

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