Les groupes automobiles sont friands du nickel indonésien, nouvel eldorado de la transition vers l'électrique. Mais les gisements, situés sur des forêts riches en biodiversité, sont un désastre pour l'environnement. L'explosion de la demande pour le nickel a déjà conduit à déforester l'équivalent de la ville de New York, selon un bilan publié par l'ONG Mighty Earth.

Sur la terre rouge de l’île d’Halmahera, en Indonésie, la future usine Sonic Bay pourrait voir le jour. Le site, au coeur d’une forêt luxuriante, pourrait produire dès 2026 si l’investissement est bien validé des sels de nickel et de cobalt, minerais essentiels pour la fabrication des batteries de voitures électriques. L’entreprise française Eramet aux manettes espère subvenir aux besoins de 1,5 million de véhicules grâce à l’un des plus importants gisements au monde qu’elle exploite déjà, Weda Bay Nickel.
Ce n’est que le début d’une extraction massive du nickel, surnommé minerai du diable, en Indonésie. Le pays dispose d’un quart des réserves mondiales selon l’U.S. Geological Survey. Un trésor pour les besoins électriques de la transition écologique mais aussi une grave menace, après le cauchemar de l’huile de palme, pour des forêts riches en biodiversité, abris d’espèces uniques au monde et précieux puits de carbone.
L’association Mighty Earth, qui vient de publier une nouvelle étude sur le sujet, estime que l’Indonésie a déjà perdu 76 301 hectares de forêts dans les concessions d’exploitation du nickel, soit l’équivalent de la superficie de la ville de New York. Un tiers des pertes a eu lieu depuis 2019, début du boom de la voiture électrique. Plusieurs de ces concessions servent à approvisionner de grands groupes automobiles comme PSA, Tesla, Ford ou Audi, listés par Mighty Earth. La déforestation calculée est une fourchette basse selon l’association qui ne compte pas les défrichements avant la cession officielle des concessions, ce qui doublerait le total, ni les zones exploitées de manière illégale.

Eramet, entreprise entre ambitions responsables et défrichement


Parmi les 25 concessions pointées du doigt par l’association se trouve justement Weda Bay Nickel, exploitée par Eramet et le groupe chinois Tsingshan, actionnaire majoritaire. Depuis sa mise en service, cette concession a déforesté plus de 1248 hectares, l’équivalent de 1700 terrains de foot. Pourtant, 86% de la zone d’une étendue de 125 000 hectares, industrialisée sur 45 000 hectares, stocke du carbone à un haut niveau selon l’ONG High Carbon Stock Approach. Eramet affirme s’engager dans la transition écologique tout en continuant d’explorer de nouveaux sites miniers en Indonésie. Elle a inscrit dans ses statuts sa raison d’être : "devenir une référence de la transformation responsable des ressources minérales de la Terre".
Eramet prévoit de replanter autant de surfaces que celles défrichées en Indonésie et avec des espèces endémiques. La compagnie souhaite aussi faire labelliser la concession par l’Initiative for Responsible Mining Assurance (Irma) qui définit des standards de responsabilité pour la gestion de l’eau, de la biodiversité et des rebuts miniers. Contactée par Novethic, elle déclare qu’une auto-évaluation du site de Weda Bay, contesté également pour ses impacts sur les habitants voisins selon l’ONG indonésienne AEER, sera réalisée en vue d’un audit externe en 2025. De son côté, le brésilien Vale, le groupe minier qui a le plus déforesté en Indonésie, affirme auprès de Novethic replanter plus de deux fois les surfaces déboisées dans le pays et lutter contre la déforestation illégale dans ses concessions.
Plusieurs concessions contiennent des surfaces à haut niveau de biodiversité selon le référentiel "Key Biodiversity Area" reconnu par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), une des plus importantes ONG au niveau mondial spécialisée sur la protection de la nature. Mighty Earth cite en particulier la concession Bintang Delaban Mineral, gérée par le groupe chinois Tsinghan. Celle-ci présente un haut niveau de biodiversité sur 85% de la zone et a déjà perdu 2738 hectares de forêt. L’association alerte aussi sur plusieurs concessions qui déforestent près des côtes. Cela peut déposer des sédiments néfastes pour la vie marine alors que l’Indonésie abrite 30% des récifs coralliens au niveau mondial.

"Rendre crédible la transition énergétique"


L’extraction du nickel pose l’épineuse question des impacts environnementaux et sociaux de la transition énergétique. Pour "rendre crédible la transition énergétique", le directeur du centre Énergie & Climat de l’Institut français des relations internationales (Ifri), Marc-Antoine Eyl-Mazzega, proposait en 2021 dans les colonnes de Novethic de créer une agence internationales des minerais. "Cette agence pourrait ainsi créer des standards ESG (environnementaux, sociétaux et de gouvernance) nivelés par le haut", soulignait l’expert.
Pour Mighty Earth il s’agit, sans attendre, d’obtenir une meilleure traçabilité du nickel utilisé dans les batteries de voiture électriques. "Le but n’est pas d’arrêter la production de véhicules électriques, mais d’assurer que les forêts, les écosystèmes et les populations locales sont protégées pendant que nous réalisons la transition écologique", pointe l’association. Pour elle, les zones à haut niveau de biodiversité sont à proscrire. D’autant que la demande ne va pas se tarir. L’Agence internationale de l’énergie estime que d’ici 2040, avec le boom des voitures électriques et des énergies renouvelables, le monde consommera 20 fois plus de nickel.
Fanny Breuneval

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