D’immenses photos figurant des pierres dressées, sculptées de croix, ornent la façade de la cour d’honneur de la fondation Bullukian. Ces pierres, hautes et étroites, pouvant mesurer jusqu’à 3 mètres de hauteur se nomment des khatchkars. Elles ont été sculptées entre le XIIe et le XVIIIe siècle en Arménie. Elles avaient alors des fonctions votives, apotropaïques (qui conjurent le mauvais sort) ou commémoratives. Pourquoi et comment ces stèles ont-elles atterri place Bellecour sur la façade de cette fondation lyonnaise ?
Un cri d’alerte
Entre 2002 et 2006, les autorités azerbaïdjanaises ont détruit, à l’aide de bulldozers, 3000 khatchkars en tuf rouge du cimetière chrétien arménien de Doulfa, situé en Azerbaïdjan, aux confins de l’Iran. Et remplacé ce cimetière par un camp militaire. « J’ai décidé de partir en Arménie en 2018. J’avais en mémoire le conflit du Haut-Karabakh et le pressentiment que quelque chose de grave était en train de se passer dans ce petit pays. J’ai monté moi-même cette mission Il ne s’agissait pas d’une commande », explique Pascal Convert, plasticien, écrivain et réalisateur.
Les images de ces khatchkars, reproduites sur de grandes bâches de 11 mètres de hauteur, dans la cour de ce bel hôtel particulier, en plein cœur de Lyon, constituent une œuvre de mémoire, doublée d’un cri d’alerte : n’oublions pas l’Arménie, ce pays de 29 000 km2, peuplé de 3 millions d’habitants, petite enclave chrétienne au milieu d’un monde musulman. Cette installation in situ de Pascal Convert vise à donner une forme à ces destructions d’œuvres du patrimoine arménien.
Plusieurs techniques ont été mises en œuvre pour réaliser ces photos, la ville de Djoulfa, située en zone de conflit armé, étant inaccessible. Des empreintes des pierres ont été prises dans d’autres monastères arméniens importants, ceux de Geghard, à l’est d’Erevan, Haghpat au nord du pays et Sanahin au sud, et des photographies réalisées à la chambre. Certaines images ont été prises à l’aide de drones. Un procédé de photogrammétrie a permis de réaliser des images en haute définition de khatchkars qui ont été imprimées ensuite sur des bâches microperforées, tendues sur les échafaudages de la cour d’honneur de la fondation en rénovation. Les empreintes de ces objets sacrés ont été réalisées avec l’autorisation du Catholicos, le patriarche de l’Eglise arménienne.
Un travail de mémoire
« Le projet conjugue deux des missions de la fondation Bullukian, le développement culturel et artistique et le soutien aux œuvres réalisées en faveur de la communauté arménienne en France et à l’étranger », explique Fanny Robin, la directrice artistique de la Fondation et commissaire d’exposition. « Plus personne ne parle de l’Arménie. Alors que ce qui s’y passe est grave. Il ne faut pas oublier que l’Arménie est un pays européen », poursuit l’artiste.
Ce travail de mémoire de Pascal Convert a débuté deux ans après une précédente mission, réalisée en Afghanistan, à l’invitation de l’ambassade de France, pour commémorer le 15ème anniversaire de la destruction des trois Bouddhas monumentaux de Bâmiyân par les Talibans. L’artiste avait alors réalisé une empreinte de la falaise de Bâmiyân à l’aide d’un appareil photographique robotisé. Un immense panoramique de cette falaise de grès dans laquelle ces statues, encastrées dans des niches, ont été dynamitées en mars 2001. Ces trois grands bouddhas avaient été sculptées il y a 1600 ans.
L’exposition « Arménie, les temps du sacré » a été montrée une première fois, en 2019, à la galerie Eric Dupont, avant de l’être, sous un autre format, à la Fondation Bullukian.
« J’ai conçu cette installation immersive comme un hommage au patrimoine arménien, une façon de rappeler sa richesse mais aussi sa fragilité », glisse Pascal Convert.