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Un euro : c'est le modique pourboire ayant conduit au licenciement d'une « dame pipi » de la gare Montparnasse, à Paris.
Un euro : c'est le modique pourboire ayant conduit au licenciement d'une « dame pipi » de la gare Montparnasse, à Paris.
Matthias Balk/Dpa/Picture-Alliance/Newscom/MaxPPP

Accepter 1 euro de pourboire, manger des mini-saucissons : ces travailleurs licenciés… pour trois fois rien

Cher payé

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Ces dernières semaines, les cas de femmes de ménage et autres employés de grande surface limogés pour des motifs absurdes – voire clairement abusifs – s'accumulent dans l'Hexagone. Quelques exemples, parmi les plus indécents.

Voler, c'est mal, mais ça ne justifie pas tout. Et sûrement pas les multiples cas de licenciement pour faute (soi-disant) « grave » recensés dans la presse hexagonale ces dernières semaines. Le dernier en date : Ludovic, directeur adjoint du magasin Action de Nogent-sur-Oise (Oise).

Sur le papier, le quinquagénaire occupe un poste de cadre depuis près de six ans. Une promotion (assortie d'une mirobolante paie de 1 700 euros nets mensuels) obtenue après avoir trimé plus de deux ans dans l'enseigne, entre contrat d'intérim et temps partiel. Tout ça pour finir par prendre la porte pour une histoire qui frise le ridicule.

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Mi-avril, l'Humanité relatait le triste sort réservé à cet employé, poussé vers la sortie sans la moindre indemnité. Son tort ? Avoir consommé des mini-saucissons sans les avoir payés dans la foulée. Une « cause réelle et sérieuse », un préjudice énorme, estimé à 5,48 euros par l'enseigne de hard-discount hollandaise – dont Marianne décrivait déjà, en 2023, les ressorts du succès : pression du rendement, conditions de travail dégradées et salaires trop bas.

« J'ai pris une canette, un paquet de gâteaux et des mini-saucisses en rayon, et je suis allé dans mon bureau pour les manger. Comme il y avait du monde à la caisse, je me suis dit que je payerai plus tard, mais j'ai oublié de le faire le soir même, en clôturant la caisse », se justifie l'intéressé, qui reconnaît même avoir commis une « erreur » auprès de BFMTV. Interrogé par la chaîne d'information en continu, un porte-parole d'Action France explique que l'entreprise a simplement « appliqué » son règlement intérieur. Quitte à le faire sans le moindre discernement.

Empocher un pourboire ? L'irréparable

D'autres ont subi la même sentence que Ludovic pour des raisons encore plus lunaires. À l'image de Sarah (le prénom a été modifié), « dame pipi » dans les toilettes publiques parisiennes de la gare Montparnasse, cédées par la SNCF à la multinationale néerlandaise 2theloo – qui, en plus de faire payer la petite commission au prix fort, se trouve dans le viseur de l'inspection du travail en raison de sa non-rémunération des heures de nuit ou encore de ses licenciements expéditifs.

Fin mars, nos confrères de l'Humanité (encore eux) dénonçaient cette affaire en une de leur journal. Les faits remontent au 23 novembre, jour où la femme de ménage de 53 ans a commis l'irréparable : empocher un euro laissé sur le comptoir par un usager. Un pourboire à ses yeux, un motif de renvoi pour ses patrons.

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« Ce licenciement fait actuellement l’objet d’une procédure auprès d’une juridiction française que nous ne souhaitons pas commenter à ce stade », confirme l'entreprise au site Actu Paris. La salariée, mère de famille isolée payée au Smic, a contesté cette décision devant les prud’hommes.

Pas mieux à l'étranger

Une simple erreur – qui n'en a jamais commis ? – peut parfois aboutir à la même injustice. Romain, approvisionneur chez la centrale d'achat Scapnor dans le Val-d'Oise, en sait quelque chose, lui qui a été limogé, l'été dernier, pour s'être trompé dans une commande… de papier toilette.

D'après France 3 Hauts-de-France , le salarié de 36 ans a acheté pour 78 000 euros de marchandises, alors qu'il n'en fallait que pour 13 700 euros. Une « denrée non périssable », qui aurait pu aisément être redistribuée dans les 63 magasins desservis par la centrale d'achat.

« J'ai averti ma hiérarchie que j'avais fait une erreur et aujourd'hui, on parle de dissimulation, comme si j'avais fait exprès de prendre le stock alors que j'ai prévenu tout de suite », se défend l'employé aux seize années d'ancienneté, accusé par sa direction de n'avoir pas informé ses supérieurs après sa maladresse. Soutenu par ses collègues syndicalistes de la CGT, il avait, lui aussi, saisi les prud'hommes. Et même entamé une grève de la faim.

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L'herbe est-elle plus verte ailleurs ? Pas vraiment : à l'étranger aussi, certains employeurs ont le scalp facile, comme l'illustre un exemple britannique (cité par Le Point ) ayant fait le tour du monde en février : celui de Gabriela Rodriguez, une femme de ménage d'origine équatorienne virée pour avoir mangé un sandwich qui traînait sur un coin de table après une réunion d'avocats – et qui aurait, à coup sûr, fini à la poubelle.

Un acte « sans autorisation ni excuse raisonnable », selon la société d'entretien qui l'employait, Total Clean, qui défend mordicus ce licenciement conforme à législation locale – mais contraire à toute morale universelle.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne