Lettre d'Allemagne

L'actualité allemande, la connue et la moins connue, grâce à l'expérience de plus de trente ans du correspondant de Radio France Internationale sur place.

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Par pascal thibaut
9 mai · 3 mn à lire
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Un air de Weimar

L'agression brutale de l'Eurodéputé Matthias Ecke vendredi dernier a provoqué une vague d'émotion en Allemagne et de nouveaux débats sur le danger de l'extrême-droite à un mois des élections européennes. Les violences contre des responsables politiques augmentent et les comparaisons avec la république de Weimar ressurgissent.

Quelques jours après son agression à Dresde où il collait des affiches vendredi soir, l’Eurodéputé sortant, le social-démocrate Matthias Ecke, a posté la photo ci-dessus sur les réseaux sociaux et a remercié celles et ceux, très nombreux, qui ont exprimé leur solidarité après l’attaque dont il a été victime.

Quatre adolescents, entre-temps identifiés, ont agressé l’élu dans la capitale de la Saxe. Suite à ses blessures et fractures au visage, il a dû être opéré mais compte bien reprendre aussi vite que possible sa campagne. D’après les médias allemands, les agresseurs avaient des liens avec un groupe d’extrême-droite connu sous le nom de “Elblandrevolte”. Ces informations sont venues confirmer des soupçons immédiats émis après cette attaque.

"La démocratie vulnérable""La démocratie vulnérable"

Cette agression n’est pas isolée. Près de 2800 délits ont été commis l’an dernier contre des responsables politiques d’après les statistiques de la police allemande. Un bilan proche de celui de l’année électorale 2021 mais sensiblement plus élevé qu’en 2022. Les derniers jours ont été marqués par d’autres agressions : contre des écologistes à Essen et à Dresde ou encore contre l’ancienne mairesse de Berlin Franziska Giffey. La sociale-démocrate, aujourd’hui adjointe à l’Economie dans la capitale allemande, a été agressée par un septuagénaire déséquilibré dans une bibliothèque. Elle a été soignée à l’hôpital pour des douleurs à la tête heureusement sans conséquence.

Ces différents cas se nourrissent d’un terreau nauséabond alimenté par les discours de haine de l’extrême-droite mais aussi plus largement par une polarisation plus forte au sein de la société allemande. Certains n’hésitent pas, plus que dans le passé, à recourir à la violence. Dans une video, Olaf Scholz qui avait déjà condamné “des attaques révoltantes et lâches” appelle ce jeudi à voter pour défendre la démocratie. Les réactions politiques ont été nombreuses ces derniers jours. Dimanche, deux manifestations à Dresde et à Berlin ont eu lieu pour dénoncer ces violences politiques. Elles pourraient redonner du souffle à la mobilisation citoyenne du premier trimestre après les révélations sur les projets de “remigration” de l’Alternative pour l’Allemagne.

Un sondage à la mi-mars en Saxe où a eu lieu l'agression contre Matthias Ecke donnait l'AfD en têteUn sondage à la mi-mars en Saxe où a eu lieu l'agression contre Matthias Ecke donnait l'AfD en tête

L’extrême-droite continue cependant de faire la course en tête dans les sondages dans la partie Est du pays avant trois élections régionales très attendues en septembre en Saxe, dans le Brandebourg et en Thuringe. Au niveau fédéral, les scores de l’AfD sont en baisse avec environ 15% aujourd’hui contre plus de 20% au début de l’année.

Je vous recommande l’écoute du grand reportage de mon collègue Achim Lippold sur ce sujet : https://www.rfi.fr/fr/podcasts/grand-reportage/20240506-l-allemagne-face-%C3%A0-l-extr%C3%AAme-droite-les-raisons-d-une-perc%C3%A9e-%C3%A9lectorale

Friedrich Merz, futur chancelier?

Deux ans après son élection à la tête de la CDU -après deux tentatives infructueuses-, Friedrich Merz a conforté sa position au sein de son mouvement, il a remis le parti chrétien-démocrate en ordre de marche après un échec historique en 2021 et vient de lui donner un nouveau programme fondamental (après 17 ans) qui illustre la mue du mouvement. Ses rivaux pourront difficilement l’empêcher d’être le candidat à la chancellerie de la famille chrétienne-démocrate CDU/CSU l’an prochain. Si des élections avaient lieu aujourd’hui, Friedrich Merz remplacerait Olaf Scholz, même si les sociaux-démocrates seraient sans doute le partenaire privilégié par la droite.

"S'il était chancelier...""S'il était chancelier..."Friedrich Merz a été reconduit pour deux années à la tête de la CDU lundi avec près de 90% des voix des délégués du congrès. Un score inférieur au précédent (95%) mais qui intervient alors que le travail du président du parti est reconnu. Il a réussi à intégrer les différentes ailes (sociale, libérale, sociale) du mouvement et assis son autorité. Son rôle de leader de l’opposition au Bundestag où il dirige le groupe parlementaire CDU/CSU est incontestable. Ses talents d’orateur le servent face à un Olaf Scholz aussi terne à l’oral qu’Angela Merkel. Les rivaux potentiels de Friedrich Merz ont été discrets lors du congrès. Le ministre-président de la Rhénanie du Nord Westphalie Henrik Wüst, au profil plus centriste et surtout plus jeune que Merz, peut patienter. Son homologue bavarois, le baroque patron de la CSU Markus Söder qui avait en vain essayé d’être le candidat des conservateurs en 2021 face à Armin Laschet a à nouveau souligné que la décision que les deux partis chrétiens-démocrates doivent prendre en commun sur la candidature à la chancellerie interviendra après les régionales de septembre.

Le nouveau programme fondamental de la CDULe nouveau programme fondamental de la CDU

Le nouveau programme fondamental du parti porte l’empreinte de Friedrich Merz et de la mue de la CDU qui tourne la page Merkel (vous aurez reconnu l’ancienne chancelière dans la caricature ci-dessus). Les 70 pages adoptées à l’unanimité lors du congrès prônent notamment une politique migratoire plus rigoureuse et s’alignent sur ce que proposent les droites européennes comme le traitement des demandes d’asile dans des pays tiers à l’UE. Le terme de “Leitkultur” ou culture de référence que Friedrich Merz avait déjà mis en avant il y a vingt ans refait son retour. Le programme insiste sur les racines chrétiennes et demande aux migrants d’adopter ces valeurs. Un passage sur les musulmans avait suscité des polémiques. Le congrès a par ailleurs approuvé la motion des jeunes chrétiens-démocrates en faveur d’un retour de la conscription que le gouvernement Merkel avait suspendu en 2011.

"Les démons de Friedrich Merz""Les démons de Friedrich Merz"

La dernière une du magazine “Der Spiegel” affichait une photo peu flatteuse du président de la CDU avec en page intérieure des détails croustillants sur un responsable politique trop susceptible et capable de réactions soudaines et incontrôlées. Le pire ennemi de Friedrich Merz serait… Friedrich Merz pour l’hebdomadaire. Au congrès, on a vu plutôt un responsable qui s’est présenté en homme d’Etat plutôt qu’en chef de parti. Une home story avec sa femme comme la video de Friedrich et Charlotte dansant au congrès sur “New York, New York” doivent corriger l’image d’un homme cassant dont la popularité au sein du grand public reste modeste. Friedrich Merz a depuis son élection à la tête du parti marqué les esprits avec des dérapages populistes. Mais il évite désormais des sorties trop polémiques.

Ce sont d’abord les résultats de la CDU aux élections cette année qui seront déterminants pour les chances de Friedrich Merz de s’imposer comme candidat à la chancellerie. Avec environ 30% des voix, les Européennes se présentent très bien pour les chrétiens-démocrates qui vont augmenter le nombre de leurs députés. Les régionales de septembre à l’Est seront plus difficiles, surtout si l’AfD arrive en tête dans les trois Länder concernés et/ou que la CDU y récolte des scores insuffisants.

Plus largement, convaincre au sein de sa propre famille politique ne suffit pas. Friedrich Merz doit encore persuader les Allemands qu’il ferait mieux au pouvoir qu’un Olaf Scholz. Contrairement à une Angela Merkel qui n’hésitait pas à reprendre à son compte les idées de ses adversaires pour les affaiblir, la CDU a opté avec son nouveau programme pour un cours clairement différent de la gauche. Il lui faudra pourtant conquérir d’autres électeurs auprès desquels un Friedrich Merz a encore des déficits à commencer par les femmes. Les sociaux-démocrates, eux, se réjouissent à l’avance d’affronter cet adversaire. L’ancien responsable de la multinationale BlackRock qui pilote son jet privé, le défenseur de valeurs conservatrices sans aucune expérience gouvernementale livre des angles d’attaques au SPD pour la campagne 2025.