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Moyen-Orient - Guerre

Risquer sa vie pour documenter la guerre : un photojournaliste du nord de Gaza témoigne

Mom'en Faïz, qui se déplace en fauteuil roulant après avoir été amputé des deux jambes, affirme qu'il entend rester dans le nord de l'enclave assiégée « comme une épine dans la gorge d'Israël ».

Risquer sa vie pour documenter la guerre : un photojournaliste du nord de Gaza témoigne

Le photojournaliste gazaoui Mo'men Faïz. Photo Mo'men_Faïz/Instagram

« J'ai perdu le compte du nombre de fois où j'ai frôlé la mort », lance d'emblée à L'Orient Today Mo'men Faïz, photojournaliste de Gaza âgé de 36 ans. Contacté par messages vocaux, la seule façon pour lui de communiquer à travers les nombreuses coupures de réseaux, il a répondu à nos questions depuis un hôpital du nord de Gaza. C'est là qu'il a trouvé refuge avec sa femme, Dima, et leurs quatre enfants, Jana, Sanaa, Hanaa et Mohammad.

Dans son fauteuil roulant, un appareil photo à la main, il navigue à travers les décombres d'une partie du nord de la bande de Gaza quasiment rasée et se rend sur le site de presque toutes les frappes israéliennes pour documenter la guerre. Dans l'enclave, travailler comme journaliste est tout sauf normal. « J'ai passé de nombreux mois sans aucun réseau sur mon téléphone, sans connexion Internet, ce qui m'a empêché d'envoyer les photos désastreuses provenant du Nord. Mais dès que je recevais du signal, je les publiais sur mes plateformes sur les réseaux sociaux », explique M. Faïz.

Petite fenêtre

« L'armée israélienne a essayé de nous couper du monde, mais en même temps elle insistait pour nous contacter par message, pour nous demander des informations sur les otages israéliens et sur les lieux où pourraient se trouver des combattants du Hamas. Dès que le signal était rétabli pour nous envoyer ce genre de messages, nous journalistes profitions de cette petite fenêtre pour envoyer nos images et vidéos au monde entier, aux agences de presse, aux influenceurs, aux activistes, et les poster sur les réseaux sociaux », raconte-t-il. Pour faire parvenir ses images au monde, il est allé jusqu'à essayer d'utiliser une carte SIM israélienne, dans des zones proches des colonies longeant la bande de Gaza.

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Interrogé sur les moyens avec lesquels les journalistes peuvent se protéger à Gaza, il ironise : « Ne tenez pas de caméra, ne portez pas de casque ou de gilet de presse ; en fait, c'est le contraire de ce qu'il faut faire partout ailleurs dans le monde ». Le 17 mai 2024, les enquêtes préliminaires du Comité pour la protection des journalistes montraient qu'au moins 105 journalistes et travailleurs du secteur des médias figuraient parmi les plus de 35 000 personnes tuées à Gaza depuis le début de la guerre, le 7 octobre. Ces conseils pour se prémunir d'être ciblé font qu'il s'est résigné à prendre parfois des photos avec son téléphone au lieu de son appareil photo professionnel, pour éviter de se faire remarquer.

Le prix de la vie

« J'ai reçu de nombreuses menaces et des appels personnels de l'armée israélienne me demandant de quitter immédiatement le nord de Gaza, de me diriger vers le Sud et d'arrêter de prendre des photos », affirme Mo'men Faïz, qui ajoute que ces appels étaient assortis de menaces selon lesquelles il pourrait être « pris pour cible » avec sa famille, mais cela ne l'a pas arrêté. « J'ai fait de mon mieux pour travailler de façon stratégique ». « C'est très dangereux et le prix à payer est élevé : il s'agit de ma vie, de ma sécurité et de celle de mes enfants. Le jeu en vaut-il la chandelle ? Absolument. Dans notre lutte contre l'occupation, il faut faire des sacrifices. Je suis prêt à le faire », lance le photojournaliste.

Il explique que généralement il ne travaille pas la nuit, parce qu'il lui est plus difficile de se déplacer en fauteuil roulant dans l'obscurité. Une journée type commence pour lui en essayant de localiser les zones bombardées pendant la nuit « lorsque les combats sont les plus violents », avant qu'il ne se rende sur place et parle aux habitants. Il lui arrive aussi de recevoir des images des endroits visés de la part de ses nombreux contacts dans l'enclave, qu'il a rencontrés au fil des ans. « Je demande aux habitants de la zone de m'envoyer immédiatement des photos et je commence à les faire circuler, accompagnées de quelques phrases sur la situation. Je dois me dépêcher, car je sais qu'après et pendant les bombardements il n'y a pas de réseau », explique-t-il.

La nuit la plus difficile

Parmi les moments les plus marquants de ces derniers mois, M. Faïz raconte qu'il a été l'un des premiers journalistes à arriver à l'hôpital baptiste al-Ahli de Gaza le 17 octobre, dix jours après le début de la guerre, où plus de 500 personnes ont été tuées dans une immense explosion. Si les autorités palestiniennes de Gaza, contrôlées par le Hamas, ont immédiatement accusé Israël d'être à l'origine de cette tragédie, affirmant qu'il s'agissait d'une frappe aérienne délibérée, Tel-Aviv a démenti toute implication et affirmé qu'elle a été causée par une roquette du Jihad islamique. Ce dernier nie cette version des faits. « À ce jour, et après tout ce que j'ai vu, cette nuit à l'hôpital a été la plus difficile pour moi en tant que photojournaliste depuis le 7 octobre », affirme celui qui a été amputé des deux jambes après avoir été blessé en 2008, dans une attaque israélienne.

Depuis cette date, il s'est rendu dans des dizaines de pays et a notamment exposé ses photos au Qatar, en Malaisie et en Arabie saoudite. En mai 2021, sa société de photographie avait été prise pour cible lors d'une flambée de violence contre la bande de Gaza, déclenchée par une décision de la Cour suprême d'Israël d'expulser six familles palestiniennes du quartier de Cheikh Jarrah, dans Jérusalem-Est occupé.

Maison occupée par des soldats israéliens

Mais la perte d'une partie de lui-même et de son studio ne semblent pas faire fléchir sa décision de rester dans le nord de Gaza, qu'Israël avait appelé à évacuer depuis le début de son offensive. « Je suis un habitant du Nord et je fais de mon mieux pour ne pas avoir à m'éloigner de ma terre et de ma maison. Plus on essaie de fuir loin de sa terre, plus il sera difficile d'y revenir. L'histoire l'a prouvé », selon lui. Il soutient que même si l'armée israélienne appelait à évacuer vers des « zones sûres » du sud de l'enclave, « en réalité, rien n'est sûr à Gaza ». Cette persistance à rester dans la partie septentrionale du territoire a permis, d'après lui de « protéger de nombreux secteurs ». « Nous ne voulions pas non plus répéter l'exode de 1948 et 1967 », affirme-t-il.

Mo'men Faïz a cependant été forcé de quitter sa maison, autrefois située sur une colline proche de l'avenue Salaheddine, qui traverse l'enclave du Nord au Sud. Son domicile a été incendié par l'armée israélienne puis bombardé, après que des soldats avaient occupé les lieux pendant plusieurs jours, ce dont il a été témoin en tombant sur des photos sur les réseaux sociaux. Dans la destruction de sa maison, il a notamment perdu ses « photos professionnelles, des livres, des diplômes et du matériel de photographie ». « Les soldats ont également brûlé nos photos de famille, mais nous considérons que chaque jour est un nouveau jour. Je ferai de nouvelles expositions, je prendrai de nouvelles photos, et mes enfants, ma femme et moi construirons de nouveaux souvenirs et prendrons de nouvelles photos. Après tout, nous sommes des Palestiniens ; c'est ce que nous faisons », déclare-t-il.

 « Je suis toujours présent dans le nord de Gaza, je resterai ici comme une épine dans la gorge d'Israël, lance-t-il dans un défi. Je n'ai jamais envisagé d'évacuer ou de quitter la région. Pour la laisser à qui ? Aux Israéliens, pour qu'ils viennent vivre ici et poursuivent l'expansion de leurs colonies ? ».

« J'ai perdu le compte du nombre de fois où j'ai frôlé la mort », lance d'emblée à L'Orient Today Mo'men Faïz, photojournaliste de Gaza âgé de 36 ans. Contacté par messages vocaux, la seule façon pour lui de communiquer à travers les nombreuses coupures de réseaux, il a répondu à nos questions depuis un hôpital du nord de Gaza. C'est là qu'il a trouvé refuge avec sa femme,...
commentaires (7)

Respect. Bravo Monsieur.

Brunet Odile

09 h 27, le 21 mai 2024

Tous les commentaires

Commentaires (7)

  • Respect. Bravo Monsieur.

    Brunet Odile

    09 h 27, le 21 mai 2024

  • Un grand homme..... et une inspiration pour nous Libanaises et Libanais

    Madi- Skaff josyan

    19 h 09, le 20 mai 2024

  • Longue vie à vous, vous êtes un grand homme!

    Politiquement incorrect(e)

    12 h 03, le 20 mai 2024

  • Monsieur (et les palestiniens/palestiennes) , votre résilience, votre courage, votre amour pour votre terre, votre dévotion force mon admiration...

    laravine@yahoo.fr

    20 h 21, le 19 mai 2024

  • C’est très courageux pour vous et vos enfants .Bonne chance???Sllah yehmicon.????

    Claudine Homsy

    19 h 03, le 19 mai 2024

  • Bravo

    Jack Gardner

    13 h 29, le 19 mai 2024

  • Courageux bravo

    Eleni Caridopoulou

    13 h 24, le 19 mai 2024

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