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Algérie : Des migrants expulsés vers le Mali, puis rançonnés

Les autorités ont procédé à des vagues d’expulsions arbitraires

Des hommes expulsés de l'Algérie font la queue peu après leur arrivée à Bamako, au Mali, le 25 octobre 2017.   © 2017 Bukary Dao / Le Républicain

 

(Beyrouth, le 14 mars 2018) – Début mars, les autorités algériennes ont expulsé de manière arbitraire plus d’une centaine de migrants africains en provenance de divers pays vers une région de non-droit située au Mali voisin, où certains d’entre eux ont été dépouillés par des groupes armés, a déclaré aujourd’hui Human Rights Watch.

Les autorités algériennes n’ont pas déterminé de manière appropriée le statut de ces migrants, y compris ceux qui auraient peut-être pu revendiquer le statut de réfugié, les privant de la possibilité de contester leur expulsion et de récupérer leurs économies et leurs possessions. Une organisation non gouvernementale basée à Gao, au Mali, a indiqué avoir prêté assistance à plus de 125 migrants parmi ceux qui sont récemment arrivés sur place les 6 et 7 mars derniers.

« L’Algérie devrait traiter tous les migrants avec respect et décence, leur donner la possibilité de contester leur expulsion et ne pas les exposer au risque de subir un traitement inhumain », a déclaré Sarah Leah Whitson, directrice de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch.

Lors d’entretiens téléphoniques menés séparément, cinq migrants arrivés au Mali ont expliqué à Human Rights Watch que la police de Ghardaïa, ville située dans le centre-nord de l’Algérie, les avait regroupés le 1er mars à plusieurs emplacements, notamment dans la rue, sur un chantier de construction et dans un atelier de soudure. Les autorités, ont-ils précisé, ne les ont pas informés de leur droit d’appeler leurs représentants consulaires ou autorisés à récupérer leurs salaires, leurs économies et autres biens.

La police les a escortés vers des bus à destination de Bordj Badji Mokhtar, la dernière ville avant la frontière malienne, les confiant aux gendarmes, qui les ont reconduits à la frontière sous la menace des armes.

Les migrants disent avoir marché dans le désert durant six heures avant de rallier In Khalil au Mali, la ville la plus proche de l’autre côté de la frontière ; ils sont ensuite montés à bord de véhicules privés en direction de Gao, dans deux convois séparés. L’un et l’autre ont été interceptés à des barrages routiers dressés par des groupes armés qui les ont dépouillés de leurs possessions. Selon les témoignages recueillis par Human Rights Watch, certains migrants qui n’avaient pas remis d’argent ou d’articles de valeur ont été passés à tabac.

Des groupes armés liés à Al-Qaïda opèrent dans le nord du Mali, ainsi que des organisations criminelles et des passeurs armés. Dans son rapport en date de septembre 2017 sur la situation au Mali, le Secrétaire général de l’ONU déclare que « l’insécurité généralisée a continué de porter atteinte à l’état de droit et d’entraver la fourniture de services sociaux de base, en particulier dans le nord et certaines parties du centre du Mali ».

Depuis décembre 2016 au moins, l’Algérie a expulsé des milliers de migrants subsahariens, principalement au Niger. En février, le ministre nigérien de l’Intérieur, Mohamed Bazoum, a déclaré à RFI que son pays n’était « pas un dépotoir pour migrants en provenance de toute l’Afrique de l’Ouest ».

Aristide Preira, le coordinateur local de la Maison des Migrants à Gao, a déclaré à Human Rights Watch que, parmi les 26 migrants arrivés d’Algérie le 6 mars, il y avait 20 Maliens, trois Gambiens et trois Guinéens. Parmi les 101 arrivés le 7 mars, se trouvaient 76 Maliens, trois Guinéens, cinq Sénégalais, cinq Burkinabais et 12 Ivoiriens, a-t-il dit. Deux mineurs, âgés de 16 et 17 ans, figuraient parmi eux. Ils ont confié à Preira n’avoir rien mangé depuis trois jours, et certains ont été hospitalisés à la suite de déshydratation aiguë, a ajouté celui-ci.

Mouhamed Soumah, âgé de 34 ans, et originaire de Guinée, était comptable dans son pays d’origine. Il est venu à Ghardaïa en juillet 2017 et a travaillé comme ouvrir sur un chantier. Le 1er mars, la police l’a mis en détention ainsi que deux de ses collègues, a-t-il dit, en les assurant que c’était uniquement aux fins d’un contrôle d’identité.

Une fois au poste de police, ils ont été transférés avec des dizaines d’autres hommes dans un entrepôt après s’être vus refuser la permission de récupérer leurs effets personnels ou de contacter leurs consulats et ont été emmenés à Bordj Badji Mokhtar. De là, les gendarmes les ont conduits en camions vers une zone proche de la frontière et leur ont ordonné sous le menace des armes de se diriger vers le Mali.

À In Khalil, 26 d’entre eux ont réussi à négocier un trajet payant à bord d’une camionnette privée jusqu’à Gao. Pendant leur voyage qui a duré deux jours, a relaté Soumah, des hommes armés qu’ils ont identifiés comme des rebelles les ont stoppés à plusieurs reprises, les rançonnant avant de les laisser poursuivre leur route.

Ousmane Sigide et Mohamed Dembere, deux Maliens âgés de 25 et 27 ans, respectivement, et qui se trouvaient aux côtés de Soumah, ont fait des récits concordants.

Sokodu Seydou, un Malien âgé de 28 ans, a commencé à travailler comme soudeur à Ghardaïa en mai 2017, sans permis de séjour. Des policiers en civil se sont rendus sur son lieu de travail le 1er mars pour examiner ses papiers. Après avoir vu son passeport, ils l’ont embarqué, avec deux autres de ses collègues, à un poste de police de Ghardaïa, lui refusant également de le laisser récupérer son argent dans sa chambre et de contacter les autorités consulaires.

Seydou a indiqué que des dizaines de détenus – dont lui-même – ont été nourris et n’ont pas subi de mauvais traitements, mais ont été emmenés en bus à Adrar. Sur place, la police les a remis aux gendarmes, qui les ont regroupés dans un entrepôt pour la nuit, avant de les conduire, avec des centaines d’autres hommes, à bord de camions jusqu’à la frontière malienne, qu’ils ont été contraints de traverser.

Ils ont marché jusqu’à Khalil et une centaine d’entre eux ont payé un chauffeur routier pour qu’il les conduise en camion jusqu’à Gao. Selon Seydou, ils ont été arrêtés à plusieurs reprises sur la route de Gao par des groupes de cinq à 10 hommes armés de fusils et portant des vêtements sans insignes distinctifs. À l’un de ces barrages, les hommes ont exigé d’être payés 15 000 francs CFA chacun (environ 28 dollars US). Quand il leur a dit qu’il n’avait pas d’argent, Seydou et d’autres ayant refusé de payer ont été battus par ces individus, qui se sont emparé de leurs téléphones, avant de les relâcher. Les migrants sont arrivés à Gao le 7 mars, après deux jours de route, a expliqué Seydou.

Le gouvernement algérien a l’autorité légitime d’expulser des personnes en situation irrégulière, à condition de respecter le droit international. En tant qu’État partie à la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille (Convention des travailleurs migrants), l’Algérie n’est pas en mesure de procéder à des expulsions collectives de travailleurs migrants et de leurs familles, et est tenue d’examiner individuellement chaque cas d’expulsion potentielle. La Convention s’applique à tous les travailleurs migrants et à leurs familles, indépendamment de leur statut juridique ou professionnel.

Préalablement à toute expulsion, ce traité contraint le gouvernement du pays concerné à informer les travailleurs migrants et leurs familles de leurs droits de contacter leurs autorités consulaires et de contester leur expulsion devant les autorités compétentes, laquelle doit être suspendue jusqu’à ce qu’une décision de justice soit rendue. En outre, toute personne craignant d’être persécutée ou victime d’un autre préjudice grave dans son pays d’origine a le droit de demander l’asile.

Par ailleurs, en cas d’expulsion, la Convention stipule que « les intéressés doivent avoir une possibilité raisonnable, avant ou après leur départ, de se faire verser tous salaires ou autres prestations qui leur sont éventuellement dus et de régler toute obligation en suspens ».

En outre, ce traité oblige les États parties à respecter les droits à la liberté et à la sécurité des travailleurs migrants et des membres de leurs familles.

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