[Edito] Tous sous le même toit
Ceux qui maîtrisent les bons vieux préceptes fondateurs de l’hypermarché connaissent parfaitement l’adage du « tout sous le même toit ». Cette idée serait celle de Bernardo Trujillo, un Américain d’origine colombienne installé à Dayton, dans l’Ohio, qui a vu défiler dans les années 60 les fondateurs de Carrefour, Auchan, Darty ou Casino. Ils y ont appris les bases du commerce moderne et retenu de célèbres conseils comme « No parking, no business », « Créer un îlot de pertes dans un océan de profits », « L’animation, c’est le client » ou « Empiler haut et vendre à prix bas ».
Tous les directeurs de grandes surfaces répètent à l’envi ces formules qui ont fait le succès de la grande distribution. Pourtant, lorsque l’on parle à Georges Plassat, président du groupe Carrefour, de la rénovation de l’hypermarché de Villiers-en-Bière avec sa boutique bio à quelques mètres de la zone discount et des panneaux « bons plans » proches du superbe rayon traiteur, il répond du tac au tac : « Mais pour vous, quelle est aujourd’hui la définition de l’hypermarché ? » Et là, pas question de lui répliquer le sempiternel « tout sous le même toit »… Georges Plassat préfère parler du « tous sous le même toit ».
Cette transposition n’est en rien anecdotique. Pour lui, et alors que son groupe enregistre quotidiennement 13 millions de passages en caisses, il n’est plus question de vouloir tout vendre dans un seul lieu. D’ailleurs, depuis quelques années, les distributeurs ont arrêté de croire qu’ils allaient vendre des maisons, des voitures, de l’eau et de l’électricité.
Désormais, si l’objectif est certes de bâtir la meilleure offre possible, il s’agit avant tout de séduire un maximum de personnes, de générer du trafic. Ce sacro-saint trafic qui a détrôné le doux rêve de l’assortiment sans limite, tombé dans l’escarcelle du web. Pour gagner ce pari fou de voir débouler dans les allées toujours plus de clients, de consommateurs ou de shoppers (peu importe leur nom), il faut s’adresser à tous les âges, toutes les catégories socioprofessionnelles et tous les foyers.
Cette réflexion interpelle bien évidemment, au regard des années passées et des multiples essais vers la premiumisation de l’hyper ou de sa paupérisation et même de sa féminisation. Par définition, l’hyper est un généraliste et ne doit pas être segmentant. Les sceptiques répliquent que ce mélange social n’est pas sans danger, que les Dusquenoy ne veulent pas forcément croiser les Groseille. Des réflexions totalement surannées, et, contrairement à certaines idées reçues, le bio n’est pas réservé aux bobos parisiens et fonctionne très bien en banlieue.
En alternant zones premium et zones d’entrées de gamme, le magasin ne prend pas l’abominable risque de proposer deux flux de clientèle. Qui plus est, et sans que personne ne s’en offus–que, les distributeurs ont toujours travaillé ainsi. Alors, finalement, en assumant de tels choix, le magasin de Villiers-en-Bière se permet de monter en gamme tout en préservant son image prix. Sur le papier, la réflexion est très cohérente. Reste à savoir si les consommateurs, de tous les horizons, accepteront cette démarche. Et ceux qui en doutent peuvent toujours se remémorer une autre phrase du célèbre Bernardo Trujillo : « Les pauvres ont besoin de prix bas. Les riches adorent ça. » Preuve de la pertinence du « tous sous le même toit ».