Covid : quand le livre remplace le spectacle sur les panneaux publicitaires

Dans les rues de Paris, le 1er mars 2021.

Dans les rues de Paris, le 1er mars 2021. A.S. / L'OBS

Il n’y a plus de films, de pièces et de rétrospectives à vendre. Mais la culture ayant horreur du vide et JC Decaux, du déficit, les écrivains ont été promus au mât-drapeau.

Avant la pandémie de Covid-19, les musées nationaux, les théâtres privés et les distributeurs de blockbusters se disputaient, à Paris et dans sa banlieue chic, les mâts-drapeaux (propriété de l’industriel JC Decaux), afin d’afficher, en hauteur, leur réussite et d’appâter, en bas, le chaland. Sous l’oriflamme tricolore, le Grand-Palais vantait les expos Picasso, Gauguin ou Toulouse-Lautrec, « le Roi Lion » épousait « la Reine des neiges » et Omar Sy tutoyait Joaquin Phoenix.

Or, depuis un an, il n’y a plus de films, de pièces et de rétrospectives à vendre. Les argentiers du cinéma et du spectacle vivant boudent les coûteux mâts-drapeaux (une campagne d’une semaine étant facturée 25 000 euros). Mais la culture ayant horreur du vide et JC Decaux, du déficit, l’édition, seul secteur épargné par la crise, s’est empressée de grimper au mât de cocagne. D’autant que le n° 1 de la publicité urbaine a dû brader ses tarifs, réduits, en temps de guerre sanitaire, à 10 000 euros.

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Signe des temps

Après la vague triomphante des lauréat(e)s de l’automne (Hervé Le Tellier, prix Goncourt, Marie-Hélène Lafon, prix Renaudot, Chloé Delaume, prix Médicis, Irène Frain, prix Interallié, qui découvraient pour la première fois la capitale en plongée), voici que sont apparus, en haut de l’affiche, les visages de Leïla Slimani, Philippe Besson, Jean-Marie Rouart ou encore Philippe Delerm (promo majuscule pour plaisirs minuscules). On ne peut s’empêcher d’y voir un signe des temps, dont Roland Barthes eût peut-être tiré une mythologie. Les vedettes du music-hall et du théâtre ayant été condamnées à déserter la scène, on les remplace par des écrivains. Non seulement dans les talk-shows, mais aussi au sommet des mâts-drapeaux.

C’est ainsi que le portrait XXL de l’historien Ivan Jablonka surplombe aujourd’hui les grands boulevards comme si l’auteur d’« Un garçon comme vous et moi » (Seuil) entendait secrètement rivaliser avec Muriel Robin ou Dany Boon. D’où il appert que la société littéraire du spectacle, augurée par Guy Debord il y a cinquante ans, a trouvé son apogée avec le coronavirus. S’il est fort peu probable de voir les Editions José Corti acheter ce nouvel espace publicitaire pour vanter, malgré son réconfortant succès, « Nœuds de vie », le livre posthume et inédit de Julien Gracq, il est en revanche possible qu’on ne sache plus si, tout là-haut, sous la bannière bleu blanc rouge, Katherine Pancol et Eric-Emmanuel Schmitt écrivent des romans ou concourent à l’Eurovision de la chanson.

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Paru dans « L’OBS » du 25 février 2021.

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