Chronique 

Jean-Luc Godard, Jean-Paul Sartre, Philippe Sollers : mais qu’avaient fumé les Maoïstes ?

François Forestier

François Forestier

LA BOÎTE À BOUQUINS DE FORESTIER. Romans non traduits, nanars introuvables, bizarreries oubliées… Cette semaine, folie rouge.

Mais, par la barbe de Lao Tseu, qu’est-ce qui a motivé des jeunes gens intelligents, cultivés et pas cons, à agiter un petit livre truffé d’aphorismes dignes de l’Almanach Vermot, tout en vantant les mérites poétiques de son auteur, Mao Tsé Toung (Mao Zédong, pour les vrais croyants), qui devait quand même bien se marrer en voyant le bordel ? Dans « Les Maoïstes, la Folle Histoire des Gardes Rouges Français » (publié en 1996), Christophe Bourseiller raconte les faits, les méfaits, les fake-faits et les alternative-faits des zélateurs du satrape de Pékin. Parole, ils étaient tous sous Maxiton-Mescaline-Kronenbourg pour avoir absorbé le torrent de poésie gélatineuse venu de l’Empire du Milieu ! Les années ont passé, mais, à lire le bouquin, on est partagé entre la franche rigolade et l’esbaudissement incrédule. Ces truffes-là, ils ont failli quand même foutre en l’air nos us et coutumes. S’ils avaient réussi, on serait aujourd’hui contraints de bouffer avec des baguettes, et c’est pas facile, je vous le dis d’expérience.

En vrac : Jean-Luc Godard, Jean-Paul Sartre, Simone de Beauvoir, Philippe Sollers (« Les Essais de Mao constituent un bond en avant considérable et complètement original »), Michel Foucault, Jacques Vergès, Gérard Miller, Régis Bergeron, Georges Frêche, Roland Castro, Louis Althusser, Alberto Moravia, Jean-François Bizot, Christian de Portzamparc, Michel Le Bris (« Nous opposerons à l’armée blanche des terroristes l’armée rouge du peuple »), tous compagnons de route des Maos. Vive la Révolution Culturelle (Révo Cu, en abrégé), vive le Tiers-Mondisme (et Enver Hodja, le comique albanais), vive les intellos à la campagne et les ruraux à la Bibliothèque Nationale, vive Staline (« Nous sommes reconnaissants à Lénine et Staline, qui nous ont donné l’arme du marxisme-léninisme », déclare Mao), vive le Grand Bond en Avant.

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La folie d’un culte de piqués

Sartre distribue « la Cause du Peuple » dans la rue. Groupes, sous-groupes et sous-sous-groupes se forment, se déforment dans les années 1960 et 1970 : Révolution, Fédération des cercles marxistes-léninistes de France, Union des Jeunesses Communistes, Groupes de Protection et d’Autodéfense, Gauche Prolétarienne, Métallo Rouge, Lutte-Critique-Réforme, Maos-Spontex, Nouvelle Résistance Populaire, que sais-je… Benny Lévy, futur scaphandrier du Talmud, règne sur la galaxie maoïste, et dirige d’une main de fer. Le magazine « Lui » propose des photos de filles à col Mao (elles sont à poil malgré l’appel de Benny Lévy contre « le débraillé sexuel »). Jacques Dutronc chante « Et moi et moi et moi ». Petit livre rouge en main, les militants se mettent au service du « Peuple » : « Sabotages, grèves, manifs, commandos, chasse au fasciste, meetings, réunions, séances d’autocritique, séminaires de formation rythment l’existence ». Sans oublier les « conférences de rectification », qui sentent un peu le bûcher. Il faut consacrer sa vie à la Cause, c’est obligatoire.

Godard se met à nettoyer les bureaux avec une serpillière et un balai. La lecture de « De la Chine », livre ahurissant (de bêtise béate), signé par Maria-Antonietta Macciocchi, est requise. Le combat politique prend une tournure violente : enlèvement (raté) du général Buchalais, mort de Pierre Overney, assassinat de Ramon Trabal (attaché militaire d’Uruguay), exécution d’Antoine Tramoni (le vigile qui a tué Overney), bombe devant le domicile du Garde des Sceaux… Puis, le 9 septembre 1976, c’est la mort du Big Timonier, ouf. Giscard d’Estaing envoie un télégramme : « Avec le président Mao Zedong s’éteint un phare de la pensée mondiale ». Et ta sœur, elle est un phare ? Oubliés le laogaï (ensemble de camps de concentration), la liquidation des minorités, les morts de la Révolution Culturelle (50 millions mais bon, ils sont nombreux, les Chinois, alors bof). Oublié, Simon Leys, surtout, lanceur d’alerte évidemment - forcément ! - subventionné par le bureau belge de la CIA.

Lire « Les Maoïstes » aujourd’hui, c’est replonger dans la folie d’un culte de piqués. Relire « Le Petit Livre Rouge » est un exercice surréaliste. Feuilleter le numéro 42 de « Lui » de l’époque (juin 1967), en revanche, est hautement conseillé : girondes militantes en vestes chinoises entrouvertes, éloge des positions révolutionnaires (genre « La Flûte de Jade » ou « Le Tapis de chair »), fausses citations de Mao et de ses potes Tsé et Toung. La Révo Cul ? Je suis pour.

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Les Maoïstes. La Folle Histoire des Gardes Rouges Français, par Christophe Bourseiller, Plon, 1996. Réédition en poche « Points » (2008).

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