« 3h50 d’antenne par jour » : les consommateurs français « surexposés » à la pub pour les SUV

La Peugeot 5008 lors de sa présentation au salon de l’automobile de Paris, en 2016.

La Peugeot 5008 lors de sa présentation au salon de l’automobile de Paris, en 2016. ERIC PIERMONT / AFP

En 2019, les constructeurs automobiles ont investi 1,8 milliard d’euros pour faire la promotion de ces véhicules en France, dénonce le WWF. Une « catastrophe » pour le climat tant ces modèles sont de gros émetteurs de CO2.

Ce sont des chiffres qui donnent la mesure du matraquage publicitaire déployé par les constructeurs automobiles pour vendre des SUV, ces véhicules imposants et polluants, qui connaissent un succès fou. Selon les calculs du WWF, « en 2019, les spots publicitaires vantant les mérites de ces véhicules ont bénéficié à la télévision de l’équivalent de 3h50 d’antenne quotidienne, toutes chaînes confondues ». « Soit, rappelle l’ONG dans une étude publiée ce mercredi 24 mars, l’équivalent de deux matchs de football ou de six journaux télévisés » chaque jour.

La presse écrite n’échappe pas à cette déferlante : les publicités pour les SUV représentaient, en 2019, l’équivalent d’une édition quotidienne complète de 18 pages. Près des 2/3 des publicités financées par les constructeurs automobiles dans la presse étaient ainsi dédiées à ce type de véhicules, dont la part de marché est passée de 5 % en 2008 à… 40 % en 2020.

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Les montants mobilisés sont tout aussi impressionnants. Sur les 4,3 milliards d’euros consacrés aux dépenses de publicité et de communication par la filière automobile en France en 2019, 1,8 milliard d’euros – soit 42 % des investissements publicitaires – a été dédié à la promotion des SUV, tous segments confondus. « Cela représente, pour chaque SUV vendu en France, un investissement publicitaire de 2 300 euros », a chiffré le WWF. C’est bien plus que pour les autres modèles.

« Les SUV bénéficient, individuellement, d’un investissement publicitaire 1,4 fois plus élevé que les citadines et que les berlines. »

Deux fois plus d’émissions d’ici 2030

Ces chiffres inquiètent le WWF. L’ONG, qui a consacré en octobre dernier une étude aux conséquences environnementales désastreuses de ce type de véhicules, grands émetteurs de CO2, y voit une menace sérieuse pour le climat. « Au cours des dix dernières années, la progression fulgurante des ventes de SUV en France a constitué la deuxième source de croissance des émissions de gaz à effet de serre en France », rappelle Pierre Cannet, directeur du plaidoyer et des campagnes au WWF. Or avec un tel niveau de dépenses publicitaires en faveur de ces véhicules, le phénomène de SUVisation ne peut que continuer. » Ces SUV pourraient ainsi représenter deux tiers des ventes en 2030 et émettre alors deux fois plus de gaz à effet de serre qu’aujourd’hui, met en garde l’ONG. Une situation préoccupante, car elle compromet sérieusement la capacité de la France à atteindre ses objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre, « notamment en matière de transport, où elle est déjà particulièrement en retard ». « Les messages publicitaires sont en totale contradiction avec nos objectifs climatiques », souligne Pierre Cannet. Il poursuit :

« Si la publicité ne change pas, nous n’arriverons jamais à décarboner le parc automobile. »

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Ce matraquage publicitaire est, pour le WWF, d’autant plus problématique que les stéréotypes mobilisés dans ces publicités ne correspondent pas aux réalités d’usage de ces véhicules, et leur impact réel sur le climat est évidemment passé sous silence. L’invocation des thèmes naturels est un « élément central du marketing et de la promotion des SUV », note l’étude, qui dénonce une forme d’« écoblanchiment » (greenwashing) destinée à « offrir au consommateur un moyen de tempérer sa culpabilité au moment de l’acquisition d’un tel véhicule ». Autre mensonge : la sécurité. Les publicités pour SUV insistent beaucoup sur le sentiment de protection que procurerait ce type de modèle. « Pourtant, conduire un SUV est plus dangereux, pour le conducteur comme pour les autres usagers », dénonce l’ONG.

« Un piéton a deux fois plus de risques d’être tué en cas de collision avec un SUV par rapport à une berline. Un conducteur a 10 % plus de risques d’être victime d’un accident à bord d’un SUV que d’une voiture classique. »

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Augmenter le malus-poids

Pour l’organisation protectrice de l’environnement, freiner l’essor des SUV est donc indispensable. Et ceci passe par forcément par une plus grande régulation de la publicité, tant elle influence nos imaginaires et conditionne nos actes de consommation. Alors que la loi climat et résilience est en discussion à l’Assemblée nationale, le WWF appelle le gouvernement et les parlementaires à réorienter l’ensemble de la publicité vers la promotion de « véhicules d’avenir, légers et très peu émetteurs » ou « vers d’autres formes de mobilité plus durables ». La publicité, estime l’ONG, doit cesser la promotion de produits manifestement incompatibles avec la transition engagée et soutenue par les pouvoirs publics – une proposition que la convention citoyenne pour le climat avait mise sur la table, mais qui n’a pas été retenue par le gouvernement.

Le WWF rappelle également l’importance de la fiscalité et en particulier l’instauration d’un malus-poids conséquent. Certes, la France prélèvera, à partir de 2022, une taxe sur la masse des voitures pesant plus de 1,8 tonne. Mais en l’état, cette mesure ne visera qu’une niche de voitures – moins de 3 % des ventes françaises – rappelle le WWF. Un seuil trop faible pour permettre d’inverser la tendance actuelle. L’ONG propose un malus progressif sur le poids des voitures pesant plus de 1 300 kg. Une proposition là encore très proche de celle de la convention citoyenne pour le climat, qui plaidait pour une taxation des véhicules neufs supérieurs à 1 400 kg.

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Méthologie de l’étude

Pour parvenir à ces résultats, le WWF a constitué une base de données portant sur un périmètre représentatif du marché automobile français. L’analyse quantitative porte ainsi sur une sélection représentative de 62 modèles proposés par les 10 marques ayant vendu le plus de véhicules particuliers, en volume, en France pour l’année 2019 – auxquelles a été ajoutée la marque DS qui fait partie du groupe PSA. Cette sélection représente environ les trois quarts (73 %) du total des véhicules particuliers neufs immatriculés en France pour l’année 2019. Les médias pris en compte dans le cadre de cette étude sont la télévision, la presse et l’affichage extérieur. Les données de références proviennent du cabinet spécialisé Kantar.

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