Tribune 

Un quinquennat sous le signe de la brutalisation du maintien de l’ordre

Paul Rocher

économiste

TRIBUNE. Paul Rocher, économiste, auteur de « Gazer, mutiler, soumettre », revient ici sur les violences policières qui ont émaillé les cinq dernières années.

Cet article est une tribune, rédigée par un auteur extérieur au journal et dont le point de vue n’engage pas la rédaction.

A en croire l’outil d’analyse du moteur de recherche Google, le quinquennat d’Emmanuel Macron se distingue par le triste record du nombre de recherches du mot clé « violences policières ». C’est ce constat que vient corroborer un nouveau rapport fouillé de l’Observatoire des Street-médics. Ce dernier offre un constat glaçant sur deux ans de documentation effectués par des secouristes volontaires présents en manifestation : entre novembre 2018 et mars 2020, 24 300 blessés, dont 3 090 nécessitant une prise en charge professionnelle ou médicale d’urgence, sont associés aux interventions de la police. En ajoutant les blessés du gaz lacrymogène, le compteur atteint le niveau vertigineux de 335 300 de victimes de violences policières en manifestation.

A lire aussi

La brutalisation du maintien de l’ordre par les armes non létales

En cause sont principalement les armes dites non létales. Si la tendance à la hausse du recours à ces armes avait été déclenchée avant l’actuel quinquennat, on observe néanmoins une accélération spectaculaire du phénomène : Selon les chiffres du ministère de l’intérieur, qui souffrent pourtant d’une sous-déclaration du recours, près de 17 000 tirs annuels ont en moyenne été effectués par les forces de l’ordre, plus qu’un quadruplement par rapport au quinquennat précédent.

Publicité

L’effet de l’arme non létale joue à plein : En suggérant qu’une arme est par nature « non létale », donc quelque part peu dangereuse, sa simple disponibilité incite les forces de l’ordre à y recourir avec davantage de facilité. Une brutalisation du maintien de l’ordre en résulte.

A lire aussi

Du déni d’Etat…

Si ce rapport est particulièrement explosif c’est parce qu’il met en évidence à quel point les autorités minimisent l’ampleur des violences policières et la menace pour la démocratie qu’elles expriment. Début 2019, en pleine mobilisation des gilets jaunes, le ministre de l’intérieur Christophe Castaner a nagé en plein déni en affirmant ne connaître « aucun policier, aucun gendarme, qui ait attaqué un manifestant ». Devant la multiplication de vidéos de violences policières rassemblées par des acteurs de la société civile, le ministère a dû rétropédaler pour annoncer le chiffre officiel de 2 495 personnes blessées pendant la vague des gilets jaunes. Au vu de ce fait, le président Emmanuel Macron était bien obligé de reconnaître l’existence de violences policières.

A lire aussi

… aux fausses excuses

En parallèle, toute une communication visant à noyer le poisson a été déployée. Tout d’abord, l’Etat n’a jamais essayé de réellement connaître l’ampleur des violences policières. Il s’avère ainsi que le chiffre officiel des blessés ne représente que 0,74 % des cas mis en évidence par l’Observatoire des Street-médics. Pourtant, le ministère de l’intérieur n’a pas ménagé ses efforts pour rédiger un nouveau schéma national du maintien de l’ordre censé faire le point sur le maintien de l’ordre après les gilets jaunes. Les violences policières n’y apparaissent pas, puisque le problème viendrait de « l’infiltration plus systématique » de manifestants violents.

C’est précisément le deuxième angle de communication du gouvernement. Afin de contrebalancer le débat public, le ministère de l’intérieur a invoqué une hausse des policiers blessés en mission. Or, cette hausse est relativement faible, ne concerne pas spécifiquement les manifestations et s’explique notamment par le changement de la méthode de recensement. Comme si ces biais ne suffisaient pas pour discréditer le chiffre, il s’avère que 72 % des policiers blessés le sont de manière accidentelle, sans intervention d’un civil. En la matière, c’est à nouveau la société civile qui fournit des données plus pertinentes, car ciblées sur le maintien de l’ordre. Ainsi, on peut lire dans le rapport de 2020 de l’association ACAT qu’aujourd’hui les manifestants « ne sont pas nécessairement plus violents ».

Publicité

A lire aussi

Gouverner à partir des faits, et non du fétiche

Au final, on assiste donc bel et bien à une explosion nette des violences du côté policier. Il est donc temps de tirer les leçons de la brutalisation du maintien de l’ordre (et des violences policières plus généralement). Plusieurs dizaines de milliers de manifestants blessés rappellent qu’il y a urgence à se défaire de tout fétiche policier et de gouverner enfin à partir des faits.

Paul Rocher, bio express

Paul Rocher est économiste et diplômé en science politique de Sciences-Po Paris. Il a publié « Gazer, mutiler, soumettre » aux éditions La Fabrique.

Sur le sujet BibliObs

Sujets associés à l'article

Annuler