Reportage

Sueli, seule avec ses deux enfants,
de Kobané à la Serbie

Des envoyés spéciaux de L'important : Tiphaine Gosse et Jerôme Fourcade

Assise sur une vieille bâche en plastique, Sueli réchauffe ses enfants en les serrant dans ses bras. Tandis qu'au dehors un orage éclate, des dizaines de personnes trempées s'abritent entre les murs branlants de l'ancienne briqueterie. C'est ici que Sueli, sa fille de deux ans et son fils de dix mois ont trouvé refuge avant de tenter de traverser la frontière serbo-hongroise.

"Il fait très froid depuis quelques jours, mes enfants sont glacés. La vie est dure, nous n'avons rien à manger."  soupire-t-elle en tentant d'apaiser son fils Jamal.

"J'ai 25 ans, je suis une Kurde de Syrie. La guerre ravage mon pays. La vie y est devenue très difficile. Nous n'avions plus accès à l'eau, à la nourriture ni à l'électricité. Il nous fallait fuir pour survivre. Nous avons dû quitter notre pays pour ne pas mourir."

Sueli marque une courte pause afin de nous montrer les chaussures usées de sa fille.

"Depuis, nous n'avons cessé de marcher et de courir. Je suis d'abord arrivée en Turquie avant de traverser la Macédoine et la Serbie. Je veux aller en Suède pour offrir un futur à mes enfants. A Kobané, la ville syrienne dont nous sommes originaires, j'enseignais l'arabe dans une école. Mon travail me manque. J'espère pouvoir enseigner à nouveau en Suède. Aujourd'hui, il ne reste pas grand chose de Kobané..."

Sueli allume cigarette sur cigarette. Un vent violent s'engouffre dans ses cheveux bruns et des larmes ruissellent sur son visage.

"J'ai commencé à fumer en quittant la Syrie, ça calme mon stress. Je voyage seule avec mes enfants depuis la Turquie. Mon mari est resté là-bas pour gagner un peu d'argent. Il espère trouver un travail pour subvenir à nos besoins quand nous arriverons en Suède. Nous n'avons plus rien, nous avons besoin de cet argent. J'ai choisi de continuer à avancer afin d'arriver en Suède le plus vite possible.

C'est très difficile pour mes enfants. Mon aînée n'a que deux ans, elle ne peut marcher que quelques heures par jour. Je marche donc la plupart du temps en tenant mes deux enfants dans les bras. Je sais que ce trajet est dangereux pour eux mais nous n'avons pas d'autres choix. C'est moins dangereux que de rester en Syrie. Nous sommes ici depuis deux jours. Nous attendons qu'un passeur vienne nous chercher. Grâce à lui, nous pourrons enfin quitter cet endroit sordide. J'essaie de rester avec des groupes le plus souvent possible. Bientôt mon frère me rejoindra. J'espère que sa présence rendra notre trajet moins difficile et plus sûr."

Sueli s’interrompt. Elle voit s’agiter le groupe d'Afghans à quelques pas devant elle. Elle les rejoint, les réfugiés sortent sous la pluie avant de se regrouper autour d'une voiture.

Tomas a fait le voyage depuis la Slovaquie pour apporter son aide aux réfugiés. Le coffre de sa voiture est rempli de viande, de légumes, de couverts, de charbon, de sachets de soupe..."Ce midi, ce sera barbecue!" s'exclame le quarantenaire enthousiaste avant d'allumer un feu.

"Ces gens ont fui la guerre et maintenant ils vivent dans des ruines sans rien à manger. Ce n'est pas normal ! Je ne pouvais pas rester indifférent à leur détresse. Quand on voit à la télé les horreurs perpétrées au Moyen-Orient, on ne peut qu'être solidaire avec les refugiés! En Slovaquie, j'entendais des gens médire sur eux. Il ne faut pas accepter de tels discours. J'ai alors décidé d'agir. J'ai rempli ma voiture de nourriture et je me suis rendu ici, à Subotica. On peut et on doit aider ces personnes. Nous sommes tous des êtres humains."

Très vite, la plupart des réfugiés mettent la main à la pâte et aident le Slovaque à cuisiner.

"Cet homme est formidable, merci à lui " me dit Sueli avant de repartir avec une assiette de soupe.

Soudain, c'est le signal. Les réfugiés abandonnent leur plat avant de récupérer leurs quelques affaires. Des passeurs les attendent près de la voie ferrée. Les réfugiés les rejoignent. Ils ont une longue route vers la Hongrie. Sueli et ses enfants marchent parmi eux.

L'usine est quasiment vide à présent, Tomas regarde le reste de soupe qui chauffe dans une casserole:

"Je suis triste pour eux! La plupart n'ont même pas eu le temps de se servir de quoi manger. J'ai vu des familles glisser quelques oeufs dans leurs sacs avant de partir précipitamment. Ce n'est pas une vie. Ils sont désespérés, ils suivent aveuglement des passeurs. Je vais rester ici quelques temps. Il y a beaucoup d'affluence dans cette vieille usine. Je sais que je ne pourrai pas aider tout le monde mais j'essaierai d'en aider le plus possible." Tomas soupire, baisse la tête et ravive les flammes de son barbecue.

 
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