Claude Posternak

Par Claude Posternak

Par Claude Posternak

11 juin 2013, le jour où la bourgeoisie d’Etat a enterré les classes populaires

Le 11 juin 2013, jour des obsèques de Pierre Mauroy, un hommage national lui est rendu dans la cour d’honneur des Invalides. Toutes les composantes de la bourgeoisie d'Etat : politiques, grands patrons, hauts fonctionnaires et tous les leaders syndicaux viennent saluer la mémoire du premier « Premier Ministre » de François Mitterrand, de celui qui aimait à rappeler: «Ouvrier, ce n’est pas un gros mot». 

 

Aux premiers rangs, on distingue : François Hollande (ENA, promotion Voltaire), Dominique de Villepin (ENA, promotion Voltaire), Laurent Fabius (ENA, promotion Rabelais), Ségolène Royal (ENA, promotion Voltaire), Alain Juppé (ENA, promotion Charles de Gaulle), Jean-François Copé (ENA, promotion Liberté-Egalité-Fraternité), Martine Aubry (ENA, promotion Léon Blum), Pierre Moscovici (ENA, promotion Louise Michel), Jacques Toubon (ENA, promotion Stendhal), Michel Sapin (ENA, promotion Voltaire), Lionel Jospin (ENA, promotion Stendhal), Aquilino Morelle (ENA, promotion Condorcet)… La plupart ne le savent pas, mais Pierre Mauroy, lui-aussi a fait l’ENNA. Une ENNA avec deux N, l’Ecole Normale Nationale d’Apprentissage. 

 

Ce 11 juin 2013, l’Ecole Nationale d’Administration crée par de Gaulle et Thorez à la Libération enterre l’Ecole Normale Nationale d’Apprentissage, où Pierre Mauroy, fils d’instituteur, a fait ses classes. La bourgeoisie d’Etat enterre les ouvriers, les employés, les artisans, les petits commerçants et les agriculteurs. Elle enterre les classes populaires, tous ceux et celles qui n’ont plus leur mot à dire. Le constat ne date pas de ce 11 juin 2013, mais ce jour-là, il saute aux yeux. La bourgeoisie d’Etat triomphe, elle a tout raflé. Elle est à l’Elysée, dans les ministères, la haute administration, les directions des principaux partis et dirige l’économie française. Quelques pas derrière les politiques, plus discrets et moins connus du grand public, les managers des grandes entreprises nationales.  Un quart d’entre eux a fréquenté l’ENA.

 

Aux feux de la politique, ils ont préféré le parcours qui mène de l’ENA à la Direction du Trésor, de la Direction du Trésor aux cabinets ministériels, des cabinets aux présidences prestigieuses. Ils sont nombreux, ces hauts fonctionnaires, à avoir emprunté ce parcours. Tellement que l’ENA est devenue la sixième école au monde à former le plus de PDG. 

Une performance d’autant plus surprenante que rien dans les missions de l’ENA ne correspond à cet objectif. « La mission de l’ENA est de recruter et de former les hommes et les femmes qui feront vivre et évoluer les administrations, tout en leur transmettant l'éthique du service public, fondée sur des valeurs de responsabilité, de neutralité, de performance et de désintéressement. » Le modèle vertueux issu de la Résistance a fait naître, faute de contrôle, une classe dominante qui a la main mise sur tout ce qui concerne la conduite des affaires.

 

Autre pièce du puzzle ; les représentants des grandes organisations syndicales. Depuis la Libération, la proportion des salariés syndiqués est passée de 30% à 25 % en 1970, 20 % en 1980, 10 % en 1990, pour tomber à moins de 7% aujourd’hui. Le nombre de syndiqués à la CGT a été divisé par 6. La désaffection qui touche les organisations syndicales, plus particulièrement sensible chez les jeunes, les classes populaires, les salariés du privé et les chômeurs, est révélateur du fossé qui s'est créé. Il tient au conservatisme de la plupart des dirigeants syndicaux qui privilégient (hors syndicats réformistes, CFDT en tête) les intérêts de leurs organisations à celui de la société française. La France est le pays d’Europe qui compte le moins de syndiqués mais c’est aussi celui qui compte le plus grand nombre de permanents syndicaux rapporté au nombre d’adhérents.

 

Comment a-t-on pu en arriver là ? En octobre 1945, pour l'élection des députés à la Constituante, la gauche rallie pour la première de son histoire jusqu'à un électeur sur deux. Les Français et les Françaises (c'est la première fois qu'elles votent), placent le PCF, fer de lance de la Résistance sur le sol national, en tête. Avec 26% des voix, le parti des fusillés devient le premier parti de France. Ce rapport de force est déterminant pour comprendre la nature du compromis qui va être signé. Tout aussi important, de Gaulle ne fait pas confiance à la bourgeoisie. A ses yeux, elle l'a trahi en faisant le choix de Pétain. Il veut un Etat fort comme principal acteur de la reconstruction.

 

Ce contexte éclaire la nature du compromis entre l'homme de la France libre et les communistes. L'accord de la Libération, à l'origine d'extraordinaires avancées sociales, économiques et industrielles, sera fondé sur les bases d’un capitalisme d’Etat à la française - nationalisation de l’énergie, des banques, des assurances, de Renault. Les grandes entreprises seront contrôlées par des grands commis de l’Etat, les syndicats récupèreront la gestion et la manne des comités d’entreprise. Mais le choix de ce « modèle français », n’est pas sans conséquence.  Alors que l’Europe du Nord se rebâtit avec un pôle social-démocrate et une alternative libérale, la France, elle, donne naissance à des jumeaux : une gauche et une droite étatique. 70 ans plus tard, 75% des Français ne voient plus de différence entre la gauche et la droite (Baromètre confiance Cevipov 2017). D'où le succès dans l'opinion du slogan l'UMPS et de sa version républicaine, le « ni droite, ni gauche ». Cette dégénérescence d'un pacte vieux de 70 ans qui n'a pas été renouvelé est la condition objective qui a prévalu à l'élection de Emmanuel Macron. 

Avec le temps et par manque de garde-fous, les grands commis de l’Etat, ceux qui gagnaient peu mais défendaient avec dévouement l’intérêt du pays, sont devenus, sous l’effet de la révolution néo libérale, une bourgeoisie d'Etat (au sens marxiste du terme). De leur côté, les représentants de la classe ouvrière sont majoritairement devenus une bureaucratie syndicale. Leur point commun, source des frottements au sein du pays, la défense exclusive de ceux qui sont à l'intérieur du système. 

 

 

Claude Posternak

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