Nathalie Goulet

Par Nathalie Goulet

Par Nathalie Goulet

La parole politique est devenue inaudible et agonisante, et si nous faisions de la politique autrement ?

Par Nathalie Goulet, sénatrice  

Cahuzac, scandales quotidiens, règlements de comptes et petites mesquineries entre amis, tel est le lot des élus ces derniers mois. On peut ajouter l’affaire des comptes de campagne de Nicolas SARKOZY et des mécomptes de l’UMP, les “erreurs” de déclarations de Madame BENGUIGUI et Monsieur LE GUEN, les errements locatifs familiaux ou extra familiaux des uns et des autres. Ces dérapages ont eu raison de la crédibilité du personnel politique. 

Quant à la parole politique, elle est plus vaine, vide et inaudible que jamais, les annonces se succèdent au rythme des chaines infos et des réseaux sociaux, elles se percutent, s’encastrent, se contredisent et deviennent pour le citoyen une étrange bouillasse verbeuse sans aucun sens.

 

Jamais les politiques n’ont vu leur action et leur image autant détériorées et rejetées par la population. Que faire pour retrouver un peu de crédibilité ? Est-il encore temps ?

 

Remettre l’éthique au Cœur de la vie publique, politique, juridique et médiatique est, plus qu’une exigence démocratique, une urgence, une impérieuse nécessité. L'éthique n'est pas un vain mot, c'est la manière dont on se comporte lorsque personne ne vous, ne nous regarde.

C’était tout le sens des travaux d’un colloque que j'ai organisé au Sénat le 16 mai dernier et dont les travaux seront publiés prochainement.

Trop de mauvaises habitudes, de petites lâchetés, de relations dont on use et on abuse qui deviennent synonymes ou outils de passe-droits… si vous ajoutez le non renouvellement de la classe politique, vous obtenez le tableau navrant que beaucoup d’élus offrent aujourd'hui.

 

Le politique est devenu un professionnel de l’élection, au mépris, parfois du sens initial de l’engagement public : l’intérêt général. Devenir Président de la République en France aujourd’hui est le produit de trente à quarante années de vie politique. C’est inconcevable chez nos voisins étrangers : qui connaissait Barack Obama en 2000 lors de la première élection de George W Bush ? Personne. En revanche, il y a fort à parier que nous connaissons déjà en France ceux ou celles qui seront les locataires de l’Elysée pour les trente prochaines années !

 

La vie politique est devenue un cursus honorum à la romaine. On a beau jeu de pointer les élites américaines issues des universités de l’Ivy League alors que les élus nationaux en France sont généralement tous issus de Sciences-Po, et même plus spécifiquement de l’IEP de Paris, d’une poignée d’écoles de commerce prestigieuses et de l’ENA. Cette endogamie estudiantine favorise dès le plus jeune âge les ambitions les plus grandes mais aussi l’entregent, les réseaux, les amitiés et donc les coups de pouce, le politiquement correct, le conformisme et la perte à terme de toute audace intellectuelle.

 

« Servir sans s’asservir », telle est la devise de la prestigieuse école de Strasbourg. Dans les faits, n’est-elle pas plutôt « servir sans oublier de se servir » ? Il suffit de voir la fameuse promotion Voltaire de l’ENA : le bulletin quotidien est devenu depuis plusieurs années la chronique de l’ascension d’une génération de hauts fonctionnaires aux plus hautes responsabilités et parfois dans des conditions somme toute assez surprenantes. Pierre-René Lemas, ancien Préfet, puis ancien directeur du cabinet du Président du Sénat, par ailleurs proche de François Hollande, devient Secrétaire-Général de l’Elysée avant d’échanger son poste au profit d’un autre « Voltaire », Jean-Pierre Jouyet qui était pour sa part à la tête de la Caisse des Dépôts après avoir dirigé l’Autorité des marchés financiers. Le concours de l’ENA et son classement de fin de scolarité sont devenus des étalons de notre vie politique. Ou sont les cadres du privé ? Ou sont les professions libérales (et pas seulement les avocats mais aussi les médecins, les dentistes, les notaires…) ? Ou sont les responsables de la vie associative ? D’un trait, faut-il avoir appris par cœur son recueil des Grands Arrêts de la Jurisprudence Administrative à vingt ans pour être assuré d’être député avant quarante ?

 

La formation doit-y être excellente, là n’est pas la question. La vie politique doit chercher son renouveau dans la diversité de ses acteurs. C’est un gage de renouvellement des idées, mais c’est aussi et surtout une exigence démocratique.

Il faut briser la loi de l’entente « en bonne intelligence », l’entre-soi et toutes ces petites habitudes prises au fil des ans qui renvoie à nos concitoyens l’image d’une caste politique à laquelle on ne peut accéder que si l’on a montré patte blanche à la fin de ses études et que l’on a su faire prospérer son carnet d’adresse.

Le Parlement est d’abord critiqué pour son manque de représentativité au regard de la composition de la population française, perçu comme un "rassemblement de mâles blancs aisés, cis-hétéros, d'âge moyen" (voire, de retraités dans le cas du Sénat).

 

Les législateurs (un peu juges et parties) abordent pour l'instant cette question uniquement du point de vue de la parité, avec un succès plus que mitigé, presque 15 ans après le vote de la loi sur la parité en politique. Les chiffres sont édifiants ; malgré une incitation financière (sanctions pour les partis qui ne présentent pas assez de femmes), les hommes sont encore largement majoritaires dans les deux assemblées. En 2011, le Sénat comptait à peine plus de 22% de femmes (26,5% à l'Assemblée Nationale), alors même qu'elles représentent 51% de la population française. C'est certes mieux qu'avant la loi de 2000 (les sénatrices passent de 5,3% à 10,6% lors des élections de 2001), mais largement insuffisant.

 

Outre le fait que la loi peut être contournée, exemple du Front National qui fait démissionner une députée européenne pour que le mâle suivant de liste prenne sa place et donc son siège, présenter un nombre paritaire de candidat-e-s ne garantit pas que la moitié des élu-e-s soient des femmes. Les femmes sont souvent présentées par les partis politiques dans des circonscriptions difficiles. De la chair à canon électorale pour se donner bonne conscience, les circonscriptions gagnables ou les fiefs restant occupés par les barons locaux. Et de façon générale, les électeur-trice-s sont toujours plus réticent-e-s à voter pour des femmes, perçues comme moins compétentes.

 

Combien de fois ai-je entendu des propos misogynes dans notre hémicycle ? Le 17 janvier 2013 a sans doute été le plus symbolique : Bruno Sido interrogeant le Sénat au moment où Laurence Rossignol prenait la parole : « c’est qui cette NANA ?».

Combien de fois n’a-t-on pas entendu : «  les femmes doivent faire leurs preuves et puis on verra au prochain scrutin ». Après tout, il faut bien qu’une femme soit Garde des Sceaux, sans quoi, qui s’occuperait du parquet ?

Jamais on ne demande, et c’est bien dommage, aux hommes de « faire leurs preuves ». Eventuellement, on leur demande d’avoir « un métier » avant d’être élu, et encore…

Je ne suis pas Ayatollah de la parité, je préfère comme la Présidente Catherine Tasca le combat au quota, mais force est de constater l'impérieuse nécessité des textes imposant cette parité, comme dans la vie des affaires, comme ce fut le cas pour les conseils d’administrations (LOI n° 2011-103 du 27 janvier 2011 relative à la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d'administration et de surveillance et à l'égalité professionnelle).

 

Enfin, même dans les assemblées locales, comme les conseils municipaux, élues en scrutin de liste paritaire où personne n'a démissionné, la discrimination n'apparaît plus au niveau du nombre de femmes, mais de la répartition des compétences. La petite enfance et la culture aux femmes, les finances, l'urbanisme et autres tâches "nobles" aux hommes, etc. L’évolution du droit n’a pas réussi à faire évoluer nos mœurs qui restent d’un autre temps.

Ce qui est valable pour les femmes l'est aussi pour les jeunes, les ouvriers, les immigrés, et toutes les minorités sous-représentées au parlement. Les limites des politiques de discrimination positive sautent aux yeux dans la résolution de cette problématique, d'autant plus qu'un quota de jeunes, d'employés, etc. serait beaucoup plus difficile à établir qu'une "simple" parité hommes/femmes, voire inconstitutionnel.

Comment choisir quelles catégories auraient "droit à un quota" ? Faudra-t-il le changer à chaque recensement de la population française ? De plus, être représentant d'une minorité (ou catégorie sous représentée) cela ne garantit pas une quelconque capacité à représenter ses intérêts (toutes les femmes ne sont pas féministes…)

 

En résumé, il s'agit donc de trouver des personnes représentatives de la population française, motivées, s'assurer qu'elles aient la possibilité d'être candidates puis élues pour qu’une fois élues, elles soient à égalité avec leurs collègues.

Le critère de compétence est à mon sens subsidiaire, l’expérience et la formation étant là pour cela, tout comme la pratique. Pierre Bérégovoy n’était pas polytechnicien, il était ouvrier.

La première des difficultés résiderait alors justement dans le désintérêt de ces catégories à l'encontre du monde politique. L'abstention des jeunes bat tous les records. Combien de personnes, dans les professions et catégories socioprofessionnelles les moins aisées, comprennent véritablement le rôle du parlement ?

 

L'Éducation Nationale a, à l’évidence, un rôle à jouer. Les cours d'éducation civique sont ridiculement insuffisants. Réciter une devise ou apprendre la navette parlementaire au collège ne va en rien susciter des vocations. Pendant toute sa scolarité, on répète à l'élève "tais-toi, obéis, apprends par cœur". À part l'élection de délégués (bien souvent un concours de popularité), quelles occasions a l'élève d'exercer sa citoyenneté, de découvrir qu'il est capable de s'instruire sur un sujet, de se faire une opinion et d'en débattre avec ses égaux pour prendre une décision ? Une personne à qui on n'a jamais demandé son avis ne va pas magiquement prendre l'habitude de faire entendre sa voix.

On me rétorquera que ces compétences s'exercent au lycée, par exemple en cours de philosophie. C'est bien trop tard, bien trop peu. Et quid de ceux qui ne vont pas au lycée, et qui finissent justement dans les catégories socio-professionnelles absentes des bancs de nos assemblées ?

 

Faites rentrer la démocratie partout. Ou pour pasticher Walt Whitman « Ne fermez pas vos portes orgueilleuses institutions, vous pourriez tressaillir de choses qu’on a jamais dites ». Faites de nos jeunes des minis parlementaires. Donnez leur confiance en eux, montrez leur qu'ils peuvent apporter quelque chose au collectif quelques soient leurs résultats scolaires, montrez leur que le processus démocratique est non seulement stimulant mais aussi et surtout utile et concret. C'est ainsi que nous formerons des citoyens impliqués et compétents.

Il est donc impératif que le travail du Parlement des enfants, ou des conseils municipaux des jeunes puisse être traduit dans la « vraie vie », que des délibérations soient reprises par le parlement ou par le conseil municipal qui mentionnent leur apport.

Pas de gadget donc, de la pratique transposable et transposée dans la vie quotidienne.

 

Une fois le citoyen formé et prêt à s'engager, la deuxième responsabilité incombe aux partis politiques, mission presque impossible, de se contraindre à présenter des candidats moins formatés.

Force est de constater que le fonctionnement des systèmes électoraux conduit à exclure pratiquement de l’élection un candidat qui n’aurait pas reçu l'adoubement d'un parti, les électeurs votant, du moins au niveau national, plus pour une étiquette que pour le candidat.

Ce constat est sans doute moins vrai au Sénat, les grands électeurs attachant un peu plus de « valeur » à l intuitu personae qu’à la couleur politique. Mon exemple est de ce point de vue éloquent.

L'instauration de la proportionnelle pourrait peut-être être une solution pour encourager des petites formations aux candidats plus atypiques, ou alors être leur linceul et l’avènement systématique des apparatchiks lavés pendant de nombreuses années à la javel du média-training, nom contemporain de la bonne vieille langue de bois.

Si l'on ne peut pas forcer les partis à présenter des candidats plus diversifiés, Edouard Martin ne faisant pas le printemps, on peut néanmoins leur interdire de présenter les mêmes candidats jusqu’à leur épuisement physique ou intellectuel.

Nous aurions sans doute ainsi moins de siestards en séance, activité d'ailleurs exclusivement masculine.

 

Instaurons vite un non cumul des mandats strict, mais aussi un non cumul dans le temps

Limiter à deux mandats par assemblée assurerait un rajeunissement de la classe politique. Il faudrait même envisager une limite globale pour tous les mandats nationaux, afin d'éviter que le parlement européen, par exemple, continue à être un refuge pour les recalés du suffrage universel, les amis à récompenser, les obligés alimentaires (en vrac et sans préférence, Michelle Alliot-Marie, Nadine Morano, Pierre Moscovici…)

L'autre devoir, j'allais écrire prise de conscience, clairvoyance, lucidité… des partis politiques serait de faire le ménage au sein de leurs troupes. Combien de bonnes volontés ont été découragées à force de s'entendre répéter "Ne fais pas de politique, c'est un monde de requins ! Ils sont tous pourris, ça ne fonctionne qu'aux relations, tu es bien trop honnête pour réussir !" Beaucoup ont la sensation qu'il n'y a aucun intérêt à tenter une aventure perdue d'avance.

 

Les dés sont pipés, combien d'efforts pour faire "bouger les lignes". Politique n'est plus synonyme d'une noble ambition de travailler à l'amélioration du quotidien de ses concitoyens. C'est devenu une insulte ("sale politicien") synonyme de langue de bois et d'intérêt personnel.

Dans la même logique que le non cumul temporel, travaillons à faire disparaître les politiciens professionnels. Il nous faut des élus ayant connu la "vraie vie". Beaucoup de parlementaires apparaissent comme étant franchement inutiles, au point que si on leur retirait leur papier, ils seraient bouche bée.

Réduisons drastiquement le nombre d'élus dans les deux assemblées. Utilisons les sommes économisées pour fournir plus de moyens humains à ceux qui restent, sur le modèle des parlementaires américains et leurs nombreux collaborateurs. Interdisons l'emploi de membres de la famille sur de l'argent public.

Sanctionnons de façon vraiment dissuasive l'absentéisme en commission, en séance et lors des votes ; votes pour lesquels les procurations doivent être limitées aux cas d'empêchements justifiés.

 

La rémunération doit être réfléchie. Suffisante pour assurer que chaque citoyen ait les moyens matériels d'exercer un mandat, elle ne doit pas être excessive pour décourager les candidats pour l'argent, pour éviter les effets d’aubaine… nous en sommes très loin…

L'accent doit aussi être mis dans un même élan sur la formation des élus. L’élection ne confère pas la « science infuse ». Un professeur d’Histoire ne peut pas s’improviser juriste, un juriste ne peut pas non plus devenir un spécialiste de l’énergie ou de la santé par la seule onction électorale.

Un salarié du privé qui devient parlementaire prend aussi plus de risque qu'un fonctionnaire ou une personne à son propre compte, vu qu'il n'a pas d'assurance de retrouver du travail à la fin de son mandat. Mais est-ce un problème réel, compte tenu des compétences et du prestige social qu'il aura gagné ?

Le mandat impératif, interdit par la constitution, n'est ni possible ni souhaitable. Une possibilité de révocation du parlementaire par ses électeurs en cas, par exemple, de manquement grave à ses promesses serait une avancée démocratique majeure, dans un monde qui n’est pas le nôtre.

Pourrait-on, devrait-on y travailler ? C’est une idée dérangeante mais intéressante. Les électeurs se mobilisent bien plus facilement pour voter contre que pour voter pour quelque chose ou quelqu'un. Le risque d'une forte instabilité parlementaire doit donc être pris en compte.

De façon plus audacieuse, envisageons à long terme un bouleversement total des modes d'élections. Nous voulons des assemblées représentatives : quel meilleur moyen pour passer outre les obstacles psychologiques, financiers et les discriminations que d'abandonner les élections au profit d'un tirage au sort, sur le modèle des jurés d’assises.

Ce n'est pas aussi absurde que ça en a l'air, la transcription pratique de cette idée ne serait pas simple, mais nous ne risquons rien à y réfléchir sauf à améliorer l’existant qui est loin de donner satisfaction.

 

Reste, last but not least, le Sénat, tellement critiqué et que d’aucun surtout dans ces colonnes voudraient voir disparaître.

Le mode d'élection est problématique, mais une élection au suffrage universel direct n'en ferait qu'une assemblée nationale bis. Pourquoi ne pas imaginer sinon une élection sénatoriale à la proportionnelle nationale ou régionale, en maintenant le mode d'élection de l'assemblée nationale ? On cumulerait ainsi les avantages de la proportionnelle et de la stabilité d'une assemblée avec une majorité claire. Les désaccords entre les deux institutions se régleraient alors à la majorité absolue. Plus long, mais il faut prendre le temps de bien écrire la loi.

Et si nous devons supprimer le Sénat pour mille raisons, sachons lesquelles, mais aussi auditons l’Assemblée nationale et le conseil économique, social et environnemental avec les mêmes critères de sévérité sans oublier la Cour des Comptes (après tout, qui contrôle les comptes de la Cour des Comptes ?), l’Inspection Générale des Finances et le Conseil d’Etat.

Le travail pour une véritable représentativité des instances démocratiques doit donc être un savant mélange entre travail sur le long terme, par l'éducation, la réforme des institutions et les mesures législatives immédiates qui peuvent assurer un renouvellement et un rajeunissement rapide du personnel politique français.

Ce travail commence immédiatement par une décision symbolique, mais pas seulement, 100 sénateurs et 150 députés de moins.

Montrons que nous ne sommes pas propriétaires de notre (nos sièges) et donnons l’exemple enfin !