Laurence HAIM est correspondante de Canal Plus et Itélé aux Etats-Unis. Pour l’Important, elle livre son billet d’humeur de Washington.
Laurence Haïm

Par Laurence Haïm

Par Laurence Haïm

Fermer Guantanamo : Obama, yes he can?

 

La semaine dernière, dans les couloirs du pouvoir à Washington, le mot le plus à la mode n’était plus, pardonnez-moi, «Paris Charlie Hebdo» mais «Guantanamo». La petite phrase prononcée fermement mardi par Obama pendant son discours sur l’Etat de l’Union «je vais fermer Guantanamo» relance le débat sur la faisabilité d’une telle chose. 

 

Oui, le Président veut fermer Guantanamo. Oui, Obama veut s’inscrire ainsi dans l’histoire. Oui, il peut par décret présidentiel (yes he can).

 

Mais le congrès républicain commence déjà à faire fuiter aux journalistes que «si le Président fait une telle chose, sa destitution pour échouer à protéger l’Amérique sera demandée» ! «Yes they can» aussi et cette fermeture éventuelle de Guantanamo suscite de part et d’autre bien des passions…

 

La passion justement. Mercredi, le pentagone a publié un communiqué. «John Nettleton, commandant de la Base navale de Guantanamo Bay depuis le 29 juin 2012, a été relevé de ses fonctions ce mercredi 21 janvier pour un manque de confiance de ses supérieurs dans sa capacité à commander». Le très sérieux Nettleton aurait eu une liaison à Guantanamo avec une civile de la Navy, elle-même mariée. L’adultère est interdit dans l’armée… De plus, le samedi 10 janvier, un corps a été retrouvé dans la baie de Guantanamo. Le corps du mari… Un Marine qui, selon des militaires, «se serait  peut-être suicidé en se noyant»… Scandale à Guantanamo géré vite, très vite, par les experts en communication du Pentagone. Ainsi : renvoi immédiat de Nettleton de Guantanamo pour la Floride, interdiction d’accorder la moindre interview, rapatriement du corps et de l’épouse en silence et communiqué officiel. Pour conclure «une enquête est ouverte».

 

Jeudi soir, cette histoire de sexe faisait déjà partie du passé ! Dans le monde réel d’Homeland, chacun reprenait ses esprits en travaillant sur la menace terroriste, un début de retrait du personnel militaire de l’ambassade à Sanaa et des forces spéciales du Yémen et toujours ISIS qui menace de tuer les japonais et d’autres otages dont une femme…

 

Vendredi, la capitale reparlait de Guantanamo. Un café «Politics and Prose» convoquait la presse pour promouvoir le «journal de Guantanamo» du détenu Mohamedou Ould Shali. De sa cellule Shali a écrit un témoignage bouleversant sur le quotidien de sa vie et les tortures subies à son arrivée en 2002.

 

Personne ne peut dire avec certitude pourquoi ce mauritanien est là bas. Pour le gouvernement, «Shali membre d’Al Qaeda recrutait des nouveaux membres de l’organisation terroriste». Shali reconnait avoir fait partie d’Al Qaeda mais «en 1992 et avoir bien quitté à cette époque le groupe». Après le 11 septembre, il affirme «s’être même rendu de son plein gré à la police de son pays pour bien tout clarifier». Un voyage sans retour avec sa mère qu’il ne reverra jamais, morte de chagrin depuis. Car pour une raison étrange, les Mauritaniens l’ont aussitôt remis aux autorités américaines…

 

Direction Bagram puis Guantanamo, où dans son journal, Shali explique comment les gardes faisaient porter «des couches» et que «dans l’avion, un détenu nu comme lui a failli mourir de froid congelé sous les injures et les rires des GI’s».

 

Les descriptions de tortures racontées par Shali sont un témoignage terrible de cette époque. Et ne soyez pas dupe. Le gouvernement américain autorise la publication de cet ouvrage pour bien mettre en lumière les agissements inhumains d’une certaine Amérique dans sa lutte contre le terrorisme. Shali explique aussi à quel point à un moment, sous la douleur, il a commencé «à inventer des choses que ses gardes voulaient entendre…». Ses mots et cris résonnent longuement dans les pages. Malgré les demandes répétées de ses avocats, Shali, à ce jour, n’est toujours inculpé de rien. Mais encore à Guantanamo.

 

Vendredi soir, il était donc assez émouvant de voir à Washington son avocate signer son livre pour lui. Elle avait fait faire un cachet reproduisant sa signature. Un petit bout d’âme d’un détenu de Guantanamo toujours dans sa cellule…

 

Dimanche, le très sérieux Washington Post rappelait aussi avec justesse que «ce genre de torture ne se pratique plus à Guantanamo». Mais l’isolement existe toujours. Et les sévices sur ces hommes innocents ou coupables laissent des traces. On apprenait que les détenus du 11 septembre ont désormais, après 12 ans d’emprisonnement, obtenus «le droit de pouvoir téléphoner à leurs familles. Avec des règles de visionnage et d’écoutes». Le cerveau du 11 septembre, Khaled Sheikh Mohammed, a décliné immédiatement la faveur. Il a fait dire «qu’il ne voulait pas que les américains voient ce qu’il dit à sa famille».

 

Khaled Sheikh Mohammed à Guantanamo est devenu, selon mes sources, plus radical que jamais.