Xavier Alberti

Par Xavier Alberti

Par Xavier Alberti

Les irréformables

 

Par Xavier Alberti

 

«Egoïste», se pouvait-il qu’un jour cet adjectif s’appliquât à toute une génération. Au crépuscule de celle des baby-boomers, nous pouvons désormais sans trop de crainte affirmer que celle-ci s’est payée la tranche de vie qu’elle désirait en hypothéquant tout, à commencer par l’avenir des générations suivantes.

 

Au sortir d’une guerre plus sordide que les autres et qui laissa par la grâce d’un grand homme et de quelques milliers de héros la France dans le camp des vainqueurs, la génération qui voyait le jour à la fin des années 40 allait vivre cette parenthèse dorée que furent les trente glorieuses et ce, jusqu’à se payer le luxe d’une révolution qui n’en était pas une et dont personne n’avait vraiment besoin. Qu’importe, il serait aujourd’hui inutile et ingrat de leur reprocher d’être né au bon endroit, au bon moment et d’avoir par le truchement d’un continent en reconstruction vécu le plein emploi et l’éclosion de la société de consommation.

 

Il est tout aussi vain de revenir sans cesse sur le mois de mai 1968 comme s’il s’agissait d’un acte fondateur sur lequel s’était écrit 40 ans d’histoire. Mai 68 eut finalement le destin banal du pavé qui une fois arrivé dans la mare, y coule si bien et si profondément que 40 ans après l’interdiction d’interdire, on interdit tout et surtout n’importe quoi, de la cigarette dans les jardins publics au feu de cheminée dans les lieux privés.

 

Non, définitivement, mai 68 n’est pas l’origine de tous nos maux et apparaît même rétrospectivement comme une grande fête de la fin de l’été économique avant de plonger dans 40 ans d’hiver.

 

Car vint 1973. Le premier choc pétrolier marqua un premier tournant en forme d’avertissement dans un monde où il aurait fallu commencer à se poser la question de la pérennité d’un modèle reposant sur la recherche d’une croissance infinie dans un monde qui ne l’était et ne l’est d’ailleurs toujours pas.

1978 ne laissa plus aucun doute sur le fait que tout était en train de changer et que la course en avant tendait à se transformer en fuite.

Mais alors que tout nous y poussait et que les premières réformes auraient dû être envisagées dès la fin des années 70, la France allait décider de s’ancrer dans un modèle hérité d’une période bénie au cri de « Nous ne lâcherons rien » et dont le fondement consistait à tenir à tout prix, ou plutôt au prix exorbitant d’une dette qui allait s’imposer comme la mamelle nourricière d’un modèle glouton carburant à la croissance éternelle… La croissance a disparu mais le modèle est toujours là aujourd’hui, gisant de tout son poids, étouffant sous sa propre masse informe, fruit d’une idéologie transcendant tous les clivages politiques et sociaux, et se résumant finalement dans ce qui est le plus sûr chemin menant de la crise au déclin: «chacun pour soi».

 

Mais voilà, au bout de la chute vient finalement le moment fatal, celui de l’atterrissage, brutal, violent, sans alternative. Nous y sommes et c’est probablement à ma génération de l’assumer, au nom de nos pères – héros aux sourires si doux – qui nous ont offert 70 ans de paix continentale, un embryon hypertrophié d’Union Européenne né d’une stratégie d’évitement politique sans pareille et une ribambelle de droits qui ne servent à rien lorsqu’on ne sait plus comment on paiera ses factures l’année prochaine.

 

Au bout de ce processus suicidaire, la France s’est même offert le luxe d’un nouveau serrurier, amoureux de sa normalité pour finir par être banal dans une période qui carbure à l’extraordinaire. Pis encore, la guerre de succession a commencé à mettre en exergue ceux-là mêmes qui nous ont conduit jusqu’au fond du gouffre et qui viennent nous expliquer aujourd’hui que «vous allez voir ce que vous allez voir…» Et c’est bien le problème car on a vu… bien vu même, le trou béant que vous avez creusé par médiocrité, par petits calculs, par carriérisme et finalement par lâcheté, sous la pression d’une génération qui a durablement refusé de se remettre en question à chaque fois qu’elle aurait dû lâcher un peu de ses privilèges pour laisser à ses enfants un avenir, tout simplement un avenir.

Le prix de cinquante ans de surconsommation est bien plus lourd que celui de la dette qui les a financés et nous projette directement sur des questions aussi incroyables que de savoir comment parvenir à nourrir sainement la planète, à absorber l’exode climatique qui se prépare, à préserver un modèle social qui devait garantir la dignité à chacun, à financer 2000 milliards de dettes ou redonner vie à une République seule capable d’éviter les communautarismes et les affrontements qu’ils engendreront fatalement et qui ont commencé faire couler le sang en ce début d’année 2015.

 

Car non content d’avoir mis à terre le modèle économique et social français, c’est toute la structure républicaine qui est désormais touchée dans un pays où intégration, assimilation et éducation ont fini par s’échouer après 40 ans de lente dérive des valeurs fondatrices.

 

Eh bien il suffit maintenant. Votre temps est fait. Nous paierons évidemment pour finir de vous accompagner avec affection sur ce désormais interminable chemin de la retraite lorsqu’on a cessé de travailler entre 55 et 60 ans et que l’on vit en bonne forme (et c’est tant mieux) jusqu’à 90. Mais vous rendre encore une fois les clés de la maison en 2017… non, définitivement. Vous avez eu votre chance et vous avez su en profiter pleinement, grand bien vous fasse.

 

Que les enfants de la crise se saisissent de ce qu’ils ont sous la main, un clavier ou un stylo, une feuille ou un écran, un portevoix ou un micro, un pinceau ou une caméra et qu’ils disent haut et fort, fort et clair, clairement et nettement que c’est à leur tour.

Nous allons réformer ce pays, contre vents et marées, contre corporatismes et partenaires sociaux, contre certitudes et servitudes, et surtout contre ces élites défaites et lâches. Nous allons le faire, pas pour vous, pas pour nous, mais pour les suivants en étant certains qu’à leur tour, ils feront mieux que nous…

 

Le temps de la transition entre deux mondes est arrivé, et c’est à ma génération de la porter, de l’incarner, le temps d’un passage entre deux rives, sans désir de pouvoir, de soumission ou de gloire mais avec cette conviction chevillée au corps que vient un moment où la critique assise ne suffit plus et où il faut se dresser, pour porter le témoin plus loin avant de le passer au suivant.

 

Au terme de « quarante piteuses », partout les enfants de la crise, las d’un destin en spirale descendante, se rassemblent par petits groupes, en associations, en clubs, autour de projets entrepreneuriaux, sociaux, environnementaux, pour faire changer par l’action et dans les faits, leur pays. Ces nouveaux acteurs, souvent isolés, sont légion,  convergent et se rejoindront bientôt pour former la seule communauté qui vaille, celle d’une nouvelle République.