Laurence HAIM est correspondante de Canal Plus et Itélé aux Etats-Unis. Pour l’Important, elle livre son billet d’humeur de Washington.
Laurence Haïm

Par Laurence Haïm

Par Laurence Haïm

Baltimore : «Oui, nous sommes les oubliés du monde»

Je suis arrivée à Baltimore après la première bataille. Après la nuit d’émeutes la plus regardée dans le monde. Je n’avais pas envie de courir derrière quelques voitures brulées qui donnent si bien l’impression que tout va si mal. Non, Je souhaitais comprendre pourquoi à 40 minutes des salons de Washington le peuple s’est jeté dans la rue. 

A Baltimore, on crie justice. Stop à la brutalité policière. Blancs et noirs se tiennent par la main face aux policiers robocops et aux caméras du monde. Tous pensent à Freddie Grey, 25 ans, arrêté par des policiers le paralysant à terre avec un « teaser ». Un portable a filmé le jeune homme qui hurle. On le voit être mis dans la camionnette de police. Une semaine plus tard, il est mort a l’hôpital. Aucune explication et 6 policiers suspendus….Enquête en cours.

 

 

Dans les manifs de cette semaine on échange énormément. Les gens ont beaucoup à dire. Mais les discours, souvent des monologues de plus de dix minutes ne se diffusent pas. Trop long. Pas la phrase choc. Les mots des gosses en colère sont noyés dans le vacarme choc du breaking news avec ces reporters qui ont de beaux blousons assortis aux logos de leurs chaines. Dix minutes qu’on ne peut pas monter, pas bon coco. Le pneu qui brûle, lui ne parle pas dix minutes.

Baltimore m'a encore donné envie de pleurer sur mon métier, sur ce qu'il est en train de devenir. Sur la disparition progressive de sa raison d’être: informer et éclairer.

A Baltimore, oui il y a des mômes qui crient et puis des gangs qui ont, parait il, coordonné les attaques. Il y aussi les flics qui font peur et qui ont peur et qui posent l’air absent.

En France, Baltimore est devenue un symbole du racisme. Mais contrairement à Ferguson, le problème n'est pas seulement le racisme !

Faits : la ville est à 72% noire. Elle est depuis des années contrôlée par les Noirs avec une mairesse qui essaie de gérer au mieux la pauvreté. Une femme très belle qui défile dans les quartiers pauvres dans de jolis tailleurs et qui parle avec le préfet de police lui aussi noir. Elle a été élue avec seulement 8000 voix dans cette ville de 630000 âmes ! 12% de participation aux élections….Un vrai record de défiance vis à vis des politiques. Baltimore, minée par la pauvreté et la drogue, ne vote plus. Le désespoir du peuple, c’est sûr c’est beaucoup moins visuel qu’un jet de boulon dans une vitrine.

Mais la vérité, l'information est là ! On ne vote plus à Baltimore. On n’y croit plus. On ne parle pas d’Obama… Seulement de corruption et d’éducation qu’il faut payer alors qu’on n’a pas l’argent. 40000 à 60000 dollars par an pour aller dans une université. A 20 ans, on est au plus mauvais âge de sa vie. On est endetté pour 20 ans, pour le seul fait de vouloir faire des études.

Dans le chaos de cette semaine, il y a eu pourtant quelques hommes de lumière ou plutôt de prières qui essayaient. Un prêtre, Terrence Priester, qui veut ramener la paix dans les communautés et qui m'a invité avec d'autres journalistes dans son église pour assister au dialogue qu’il tente à tout prix de maintenir. Baltimore se soigne avec Dieu. Avec émotion, j’ai assisté a une psychanalyse collective où la détresse se livre sans pudeur. Pendant deux heures, avant le couvre-feu, des centaines de gens ont prié et crié leurs problèmes.

Je retiens le visage d’Alysson, 16 ans, en pleurs avant de se confesser dans le micro de l’église : «Tout le monde se fout de nous, je suis en colère, je me bats pour l'éducation mais personne n'écoute. Tout le monde se fout de nous. Je travaille mais je ne m'en sors pas. Oui, nous sommes les oubliés du monde».

 

Quelque minutes plus tard, un homme de 27 ans lui répond: «Moi je veux dire deux choses, Jésus Christ est Dieu ! Et Dieu est énervé de voir qu'ici il n'y a ni justice ni paix. Les enfants pleurent, ils sont cassés».

Justement… Une mère tient à bout de bras sa petite fille de deux ans. A 25 ans, elle confesse qu'elle a déjà «été violée deux fois, qu'elle a trois jobs pour payer l'école à venir de sa fille, et qu'en fait tout le monde à Baltimore a la même histoire. En gros finir mort ou en prison...»

Et puis, d’un seul coup, elle s’est mise à hurler: «On a besoin d'aide, nous avons besoin de l'aide! We need help ! ». Ovations…

Il a fallu partir de cette église car comme le prêtre l'a dit «le couvre-feu de Cendrillon arrive". Interdiction de sortir après 22 heures. Ville paralysée.

Ce couvre-feu, ce mardi, une centaine de gamins ne l'a toujours pas respecté.

Tant mieux pour les chaînes, ça fait encore du breaking news. A 22h15 seul un carrefour s’agite. 100 à 300 policiers. 15 mômes et plein de reporters qui attendent. Malsain.

Une bouteille de bière est jetée devant les policiers surarmés. Une seule bouteille. Quelques fumées de lacrymo. CNN US en fait 4 heures.

A 22h30 on entend des sirènes. A 23h30, il ne reste que le sifflement du vent qui traverse cette ville à l'âme meurtrie.

Ce mercredi retour au briefing de la Maison Blanche. Dialogue avec le porte-parole du Président, Josh Earnest, «Pourquoi Obama ne va pas à Baltimore ou à Ferguson?» La réponse est simple: «Sa présence a Baltimore retirerait des policiers d’endroits où ils ont besoin d’être en ce moment. Il ira peut-être à Baltimore mais pas tout de suite ».

Obama mandat 2 laisse donc la police travailler….

A Baltimore, dans l’après-midi, il y avait aussi un match de baseball.

La police qui travaille si bien « interdit à quiconque d'assister au match par crainte de débordements de fans ». Oui, c'était à pleurer de voir l'image de ce stade vide, de voir un athlète saluer comme un défi à une humanité troublée, des gradins déserts. La solitude du peuple de Baltimore face à l’absence de solutions. Le peuple de Baltimore dans l’attente d’Obama. Comme le dit Josh Earnest, «Oui, il va venir un jour».

 

(Photo : Kenneth K. Lam / Baltimore Sun)