Felix Marquardt

Par Felix Marquardt

Par Felix Marquardt

Lettre ouverte à mes coreligionnaires

par Felix Marquardt, fondateur du think tank Youthonomics et de la Fondation Al-Kawakibi

 

Je m'exprime ici en tant que musulman serein et décomplexé, dépourvu par la grâce de Dieu du sentiment de manquer de légitimité pour m'exprimer qui pousse tant d'autres convertis à verser dans l'excès de timidité ou de zèle.
Le deuil des femmes et des hommes assassinés le treize novembre dernier dans les rues de Paris ne fait que commencer mais l'heure est venue pour nous, musulmans de France, de tirer enfin certaines leçons de l'horreur qui a frappé à nouveau puisque nous ne nous en sommes montrés incapables en janvier. 



Il est indéniable que les musulmans sont parmi les premières victimes, en Syrie, en France comme ailleurs, des monstres qui tuent des innocents au nom de l'islam. 

Il est indéniable également que nous vivons dans un pays qui n'a pas pris la mesure des conséquences de l'islamophobie et du racisme anti-arabe et anti-noir qui fermente depuis de longue années sans que l'on ne s'en émeuve, ni du coût de son incapacité à introduire des réformes économiques susceptibles d'offrir des perspectives dignes de ce nom à ses jeunes, dont certains, de confession musulmane ou non, finissent par se reconnaître dans le discours mortifère de l'État Islamique.

Il est indéniable enfin que les illuminés qui se réclament de notre religion n'ont aucun rapport avec l'immense majorité d'entre nous. Comme en témoigne leur trajectoire, dont nous prenons connaissance jour après jour, abasourdis et atterrés, ces jeunes vont le plus souvent de la petite délinquance au jihadisme sans passer ni par nos mosquées, ni par une lecture même superficielle de nos sources scripturaires.

Il n'en reste pas moins qu'il est temps que nous prenions nos responsabilités. En dépit du regain d'islamophobie qu'ont causé les kamikazes, dont on peut d'ailleurs reconnaître la nature prévisible et même compréhensible à l'aune de ce qui vient de se produire, être musulman en France demeure préférable, et de très loin, à l'être dans l'essentiel des pays à majorité musulmane.

Certes, ceux qui prétendent que l'islam est intrinsèquement belligène oublient que pour l'essentiel de son histoire et jusque récemment, on eut aisément pu prêter la même caractéristique ontologique au christianisme ou au judaïsme. 

Il n'en reste pas moins qu'il existe un point commun entre nombre d'actes barbares commis dans le monde depuis quelques années: ils sont commis par des gens se réclamant de notre foi.

Se contenter dès lors de dire que ces crimes n'ont "rien à voir" avec l'islam ou se féliciter que des imams les condamnent se révèle moralement tant qu'intellectuellement un peu juste. La première condition nécessaire pour affronter efficacement un problème est de reconnaître qu'il existe. Les pirouettes intellectuelles qui permettent à certains de se contenter d'ânonner que "l'islam est parfait, ce sont les musulmans qu'il faut changer" ne nous permettront pas de transcender la présente crise de notre religion. Rejeter le terme de réforme sous prétexte qu'il ne s'agit pas tant de transformer l'islam que de revenir à ses fondements, non plus (la réforme chrétienne avait l'exacte même ambition).

Par où commencer, dès lors ? Non pas juste dans nos mosquées comme arguent les caciques du Conseil français du Culte musulman. Mais en acceptant et en nous mobilisant même pour exiger que l'État puisse de manière rigoureuse et scientifique établir des statistiques ethniques et religieuses fiables. Être musulman en France en 2015, c'est être plus pauvre que la moyenne des Français. C'est être plus mal logé, faire l'objet de discrimination à l'embauche, avoir un accès restreint aux bonnes écoles. C'est se voir refuser l'accès à des pans entiers du marché du travail et à nombre de cénacles... La liste des stigmates est longue.

En agissant aussi pour mettre ostensiblement au ban de notre communauté les néo-salafistes rigoristes, qui se prétendent pourfendeurs de l'islamophobie alors qu'ils ne cessent de l'alimenter, cultivent la fibre victimaire de nos jeunes en distillant en toute impunité leur nauséabonde vision du monde, intégriste, phallocratique, homophobe, réduisant la pratique de l'islam à une binarité grotesque entre le licite et l'illicite. Il est grand temps que nous, musulmans de France, nous nous distancions de manière claire de ces énergumènes. Faute de quoi il sera de plus en plus difficile d'être pris au sérieux par nos concitoyens non-musulmans. Avec des conséquences dont nous ne commencerons à mesurer l'ampleur que lors des élections régionales à venir. Alors, serons-nous à la hauteur?