Jean-Daniel Lévy

Par Jean-Daniel Lévy

Par Jean-Daniel Lévy

Front Républicain et sémantique

Jean-Daniel Lévy, Directeur du département Politique et Opinion de Harris Interactive répond à nos questions

 

Que recouvre encore aujourd'hui le concept de "Front Républicain" ?

 

L’actualité nous l’a montré. Les mots ont leur importance. Nous avons pu le voir il y a de cela quelques semaines : parler de « migrants » ou de « réfugiés » n’a pas la même incidence sur les représentations et sur les opinions. Parler de migrants, c’est véhiculer un imaginaire relatif à l’immigration et à son double corolaire de menace tant de notre identité nationale et que de déstabilisation économique et sociale. Evoquer les réfugiés fait, plus, vibrer une fibre sociale et d’ouverture qui traverse la plupart des citoyens français. Et l’incidence sur les attitudes est réelle : le regard sur l’autre, le jugement à l’égard des politiques publiques à déployer en sont impactés

 

On voit à travers ce rapide exemple la force du message. L’importance des mots. On ne peut ainsi que nous interroger sur des termes aujourd’hui utilisés à l’envie : le « Front Républicain ». Il ne s’agit pas ici d’aborder les considérations tactiques ou l’opportunité d’y recourir,  ou pas, mais bien de questionner le terme.

 

Comment justement mettre en regard Républicain et "Marinisation" des esprits?

 

Pour ce faire, revenons quelques années en arrière. Janvier 2011. Au Congrès de Tours, facétie historique, Marine Le Pen devient présidente du Front National.

Cette nouvelle responsabilité qui lui échoit n’est pas vue que comme un changement générationnel dynastique. Mais entendu comme un renouvellement de l’approche de cette formation politique.

 

Schématiquement, un passage de la sécurité à l’égalité.

 

Les thèmes du Front National tendent à se recentrer vers un politique garant d’un certain nombre de sécurités au niveau du territoire : sécurité des biens et des personnes (ce qui était déjà identifié), sécurité relative à la maitrise des personnes entrant sur le sol français (là aussi dans la droite ligne des discours tenus par le passé) mais également thématiques sociales plus marquées en matière d’emploi, de retraite, de pouvoir d’achat… ajoutons à cela une croissance de la réappropriation de termes jugés comme laissés en jachère par des autres responsables politiques : égalité territoriale (les « oubliés de la République »), laïcité (réinterprétée lorsqu’il est question de la pratique du culte musulman), défense des Services publics etc. Finissons en indiquant que la force du Front National – et notamment de Marine Le Pen – est de dire le réel. Ou, à tout le moins, de parvenir à mettre des mots sur une situation.

 

La perception par l'opinion d'une classe politique "Hors sol" ne peut suffire à faire adhérer aux thèses du Front National.

 

Les responsables politiques sont souvent vus, et critiqués, car considérés comme parlant « une langue morte ».

 

Marine Le Pen ne souffre pas de cette remarque. Son ton est clair. Et donne à voir d’une empathie qu’elle exprime aux Français. Si peu d’électeurs pensent que la présidente du Front National vit comme eux, nombreux considèrent qu’elle les comprend. Ce qui constitue un vrai atout en cette période où le politique (au moins les formations ayant été aux responsabilités ces trente dernières années) a laissé entrevoir son inefficacité sur la question principale : le chômage. Et qui plus est donnant le sentiment de vivre dans des tours d’ivoire coupées du réel.

En quelque sorte Marine Le Pen parle de sujets touchant les Français, avec des mots susceptibles d’être entendus par nombre d’entre eux et défend l’idée qu’elle se fait de la République. Elle donne le sentiment que le politique peut maitriser : maitriser le rapport à l’Europe, maitriser l’immigration, maitriser l’économie, maitriser la norme sociale, maitriser la répartition territoriale…

Aussi voter Marine Le Pen est-ce, aux yeux des électeurs conquis, attentifs ou même indifférent à la montée électorale du FN, voter contre la République ?

 

Rien ne nous permet de l’affirmer. Au contraire même. Le vote Marine Le Pen renvoie à l’idée de retrouver l’âge d’or (forcément reconstruit et magnifié) de la France d’avant. Une France où le politique avait la maitrise, pouvait investir, était respecté… Une époque où en France, cela marchait. Une période où la parole de la France était respectée à l’étranger. Une époque, en gros, où la République fonctionnait.

 

Nous pourrions donc considérer, avec un brin de provocation, que Marine Le Pen incarne pour ses électeurs acquis et potentiels (comme pour cette frange indifférente à la croissance de son poids électoral) que le vote en sa faveur est une aspiration à plus de République.

 

Aussi le terme « Front Républicain » se heurte à une difficulté sémantique. Comment proposer de recourir à une alliance trans-partisane pour défendre les mêmes valeurs que ses compétiteurs ? Un « Front Républicain » pour s’opposer à une personne – et une formation politique – parlant de la République, de ses valeurs et de ses déclinaisons peut-il être audible ?

 

Mais le concept même de Front Républicain ne s'adresse pas aux partisans de Marine Le Pen, mais à ceux qui s'y opposent.

 

Encore une fois, il ne s’agit pas ici, de parler des raisons pouvant amener des formations politiques à se retirer ou – plus hypothétiquement – à fusionner. Mais bien à voir la force du langage. Et les difficultés auxquelles sont confrontées les autres formations politiques à nommer ce qu’ils considèrent comme le danger d’un Front National aux responsabilités. On peut cependant penser que si un autre terme s’imposait, il aurait été – depuis le temps – trouvé. Une autre victoire du Front National.