Reportage

Camp de Kanjiza en Serbie : un peu d’humanité avant d’affronter les barbelés hongrois

De nos envoyés spéciaux : Tiphaine Gosse et Jerôme Fourcade

Un camp humanitaire

Installé sur une parcelle de terre à quelques kilomètres du centre-ville, le camp se veut le plus humain possible. Ici les réfugiés entrent et sortent librement. Des douches non mixtes sont installées dans des préfabriqués et de l'eau potable coule dans les robinets de la cour. Le personnel compte de nombreux traducteurs ainsi qu'un médecin, présent sur place tous les jours. Au centre du camp se dressent une quinzaine d'immenses tentes disposant chacune de prises où les déplacés peuvent recharger leurs téléphones. La Wi-Fi est gratuite et diffuse dans toute l'enceinte du centre.

Géré par le Commissariat aux Réfugiés serbe, le camp apporte de la nourriture à ces personnes qui pour la plupart marchent depuis des jours.

 

A l'entrée du camp, nous rencontrons Robert Lesmajster, directeur du centre. Cet humanitaire professionnel déborde aujourd'hui de biberons à réchauffer. «Les bébés sont la priorité et il y en a beaucoup ici ! Faire chauffer du lait fait partie des gestes simples que nous pouvons tous faire pour les aider.» Le sourire las, il accuse le coup.

 

«Ce centre a vocation purement humanitaire. Les réfugiés viennent et repartent, leur nombre varie de jour en jour. Ici, c’est un lieu de repos. Avant la construction de ce camp, des milliers de réfugiés erraient dans les rues de la ville, des familles entières dormaient dans des parcs. Ce n'était plus tenable. Si les réfugiés ressentent le besoin de se faire soigner, de passer une nuit en toute sécurité, nous sommes là pour eux. Ces gens fuient la guerre. Nous avons connu la même chose en 1991 lors de la guerre civile yougoslave. Nous aussi étions des réfugiés.»

  

Un abri où passer la nuit

Réfugiés à l'intérieur d'une tente, un petit groupe de Syriens aux traits tirés attend sans un mot la fin des dernières gouttes de pluie. Ici pas de lit où s'allonger, seul le sol de toile caillouteux fait office de matelas. Malgré cela, tous sont reconnaissants à Kanjiza. Grâce au camp, ils vont enfin pouvoir passer leur première nuit à l'abri sans peur d'être arrêtés.

 

En Irak, Arshad a pris l'habitude de dormir d'un seul oeil. Le mois dernier, un obus a touché sa maison, tuant sur le coup ses parents et son frère. Ce jour-là, cet imposant trentenaire a survécu mais également tout perdu. La prothèse qui lui permet désormais de marcher est le seul souvenir qui lui reste de sa patrie.

 

 «J'aimerais pouvoir rentrer un jour en Irak, je n'ai plus rien là-bas, mais ça reste chez-moi. Fuir mon pays m'a brisé le cœur. Mais comment dormir quand l’Etat islamique est à 10 minutes à pied de mon village, comment dormir quand il ne reste que des ruines ? Qui le pourrait ? Désormais, je n'espère qu'une seule chose ; pouvoir vivre en paix quelque part, loin de l'horreur de la guerre. Je suis arrivé jusqu'à Kanjiza en marchant. Ce fut très dur tant physiquement que mentalement. La route est semée de dangers ! On vit dans la peur constante de se faire arrêter, voler ou encore frapper. Ici au moins, je vais pouvoir dormir une nuit à l'abri avec un toit sur la tête. Mais même si ce camp nous aide, ce n'est pas une vie. Demain mes amis et moi reprendrons notre route. Il le faut.»

 

 

Une pause avant les barbelés

Pour beaucoup, le centre de Kanjiza n'est qu'une courte pause permettant de recharger les batteries avant la traversée de la frontière serbo-hongroise. Une des étapes les plus redoutées des réfugiés. Dès août 2015, le gouvernement hongrois achevait la construction d'un mur de barbelés de plus de 170 km de long, clôture devant servir à endiguer l'arrivée de clandestins dans le pays. Bien qu'effrayés à l'idée de se faire arrêter, des centaines de réfugiés tentent chaque jour de la franchir.

 

Shirzad et ses trois enfants sortent timidement la tête d'une tente isolée. Ils sont les seuls Afghans du camp. Ici personne ne parle leur langue mais ça n'a pas d'importance, ils ne resteront que quelques heures à Kanjiza. Tandis que ses trois fils partent prendre leur première douche depuis des jours, leur tente est déjà vide. Seuls trois sacs entassés à l'entrée témoignent de leur présence.

 

«En Afghanistan j'étais professeur de maths. Mais il n'y a pas d'horizon pour les enfants. Le travail se fait de plus en plus rare et des groupuscules armés sont toujours présents. Il n'y avait plus de place pour nous. Je veux une vie meilleure pour mes trois fils. Je veux leur donner la possibilité de réaliser leurs rêves, et même tout simplement de pouvoir rêver. Nous marchons depuis plus d'un mois, nous sommes à bout de souffle. Le camp nous a permis de reprendre un peu de nos forces avant d'entrer en Hongrie. Je sais que cette traversée sera difficile et dangereuse. Les Hongrois ont installé des barbelés très coupants pour nous empêcher de passer ! J'ai très peur que mes fils se blessent ou que nous soyons violentés. Une fois là-bas, nous nous rendrons à la police. Je pense que c'est moins risqué pour mes enfants que de traverser le reste du pays illégalement.»

 

Un départ sous tension

Cet après midi là, l'odeur de grillades qui émane du food-truck installé devant le camp n'attire plus que quelques réfugiés. La plupart sont déjà prêts à quitter les lieux. Assis le long du chemin menant à la route principale, ils scrutent impatiemment l'arrivée des bus. Chaque jour, des dizaines d'autobus parcourent la dernière quinzaine de kilomètres ralliant Kanjiza à Horgos. Situé à quelques kilomètres de la Hongrie, ce village marque le point de départ de la traversée de la frontière serbo-hongroise.

 

À l'ombre d'un arbre naissant, une famille syrienne attend depuis des heures. Plusieurs bus se sont déjà arrêtés devant elle sans jamais réussir à l'emporter. A peine garés, les bus sont pris d’assaut par des dizaines de réfugiés. Devant les portes métalliques des cars la tension monte très vite et le ton se durcit. Ils repartiront quelques secondes plus tard totalement surchargés. Le répit offert par Kanjiza est terminé. Tous veulent désormais traverser la frontière le plus vite possible.

 

Plus loin, Ahmed prend son mal en patience et profite de la Wi-Fi pour préparer la traversée de la frontière à l'aide de son smartphone. C'est désormais son bien le plus précieux. Grâce à Kanjiza, il a pu le recharger et trouver un itinéraire à emprunter jusqu'en Hongrie. 

 

«Je joue ma vie ce soir. Je dois mettre toutes les chances de mon côté pour arriver à passer la frontière le plus vite possible. Je ne peux pas prendre le risque de me perdre. Grâce à la géolocalisation de mon téléphone, je sais où je suis et par où je dois passer.»

 

Un nouveau bus s'arrête. La famille est happée à l'intérieur avant de disparaître dans la masse de réfugiés agglutinés les uns contre les autres.

 

 
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